Chapitre II

A la mémoire de Gaston

(16/02/1886 - 28/09/1915)

et à celle de toute la famille

DUCLOUX-LAQUEUE-VAUCHER etc...

A la mémoire de Gaston

 

Désiré Ducloux (dit Gaston) était rédacteur

au Courrier de la Champagne,

à la Dépêche des Ardennes,

puis à L'Eclair de l'Est.

Il écrivait aussi pour le Daily Mail.

 


Avertissement : il s’agit ici de la retranscription fidèle et totale des notes et correspondances qui ont été retrouvées, mais en respectant l’anonymat des civils cités, puisqu’ils n’appartenaient pas à notre famille. Quelques noms de militaires ont aussi été rendus anonymes, parce que leurs épouses civiles ont été évoquées par Gaston dans des confidences (privées) qu’il faisait à sa propre femme en lui écrivant.

Cependant, une liste des noms des poilus du 146ème RI que mon grand-père a été amené à connaître sera dressée en annexe.

Certains passages de ce document seront aussi repris dans les autres rubriques.

 

 

Sur agenda de Gaston - Samedi 1 août 1914 :

Départ minuit pour Toul.

 

Toul, 2 août 1914 (lettre rédigée par Gaston sur les feuillets d'un tout petit calepin. Des pages sont manquantes)

2 heures

Ma bien chère Irène

1/ Je t'écris deux heures avant notre départ de Toul. Nous partons à 4 heures de l'après-midi à Sommerviller, par Nancy (40 kilomètres) pour rejoindre notre régiment le 146° qui cantonne dans la région Haraucourt-Sommerviller-Crévic, et qui doit s'y maintenir le plus longtemps possible si la guerre éclate.

2/ C'est le coeur bien gros que samedi soir je te quittai, mais j'étais cependant heureux d'avoir constaté l'énergie avec laquelle tu avais accepté cette séparation un peu brusque.

À la gare, il me fallut attendre un train qui est parti à 1 heure. Tous les réservistes étaient gais et joyeux. À Toul, c'était la cohue. Immédiatement je gagnai la caserne Ney.

Les pages 3/, 4/, 5/, 6/, 7/ et 8/ manquent

9/ L'après-midi  a été consacré à une petite revue. On vient de nous annoncer que notre départ n'aurait lieu qu'à 4 h 1/2. Nous traverserons Nancy la nuit. Comme je te l'ai dit, nous nous rendons à Sommerviller-Haraucourt où nous devons tenir 12 jours. La Poste aux Armées fonctionne,

10/ et tu pourras m'écrire à cette adresse : G. Ducloux, Caporal réserviste, 9° Cie du 146° rég. d'inf., Troupes de couverture.

À cette heure, une pluie orageuse se met à tomber ; nos sacs et nos fusils sont dans la cour.

J'espère ma chère Irène que tu continueras à manifester les mêmes sentiments. Sois forte... (suite manque).

 

Sur agenda - Dimanche 2 août 1914 :

Habillement - Départ de Toul à 4 heures - Surpris par 2 orages - Passage à Nancy - Arrivée à Heillecourt.

 

Sur agenda - Lundi 3 août 1914 :

Départ Heillecourt 5 h matin - arrivée Haraucourt - On entend explosions - nuit aux issues - Le soir arrive dragons Réméréville - montre sabre - officier français monte cheval allemand - nous sommes 5 pouvons les charger - L'un fait le mort.

 

2° page d'une lettre à Irène. Début manque :

Tous les postes sont reliés par le téléphone militaire. Notre compagnie bivouaque dans des tranchées qu'elle a creusées ; nous, nous couchons dans les granges (je suis chez le garde-champêtre) et demain nous rejoignons nos camarades. Nous serons alors bien reposés. On nous laisse absolument sans nouvelles officielles. Un paysan nous a dit cet après-midi que la guerre était déclarée avec l'Allemagne. On ne nous confirme pas la nouvelle. Les officiers ont rapporté un incident de frontière à 12 kilomètres. Une patrouille de uhlans a été capturée par des chasseurs à cheval : un maréchal des logis a tiré. D'autres annoncent que tout est pour le mieux, que l'Angleterre fait de nouvelles ...?..(illisible) et que l'affaire pourrait s'arranger. Le moral de tous les camarades est excellent. Aucun n'éprouve d'inquiétude et on ne désire que faire le coup de feu si les évènements se précipitent. La confiance la plus grande règne parmi nous. Les aéroplanes, l'artillerie lourde donnent à chacun une pleine assurance. Ils préparent la besogne.

Me voici donc sur la 1° ligne alors que je m'attendais à soutenir, avec le 146°, la défense de Toul. Prie le Bon Dieu de me protéger et de me donner la force et la santé pour accomplir mon devoir.

Je porte sur mon coeur ta photographie et celle des enfants. À mon cou sont suspendues les médailles de mon petit Jean. Que la Sainte Vierge me garde et te protège. Embrasse bien ces chers petits pour moi, et tous nos amis. Quant à toi, ma chère Irène, reçois l'assurance de toutes mes pensées et mes plus doux baisers. Ton Gaston.

G. Ducloux, 146°, 9° Cie - Troupes de couverture.

 

Sur agenda - Mardi 4 août 1914 :

Journée aux issues, mais au matin aux salves (Salmes?) - garde du drapeau - départ avec réservistes à Drouville - rejoint ceux occupant Bois de Crévic - Nuit chez "S" abonné de l'Eclair - Garde aux issues - Annonce officielle déclaration guerre - Curé "réserve" vin soldats.

 

Sur agenda - Mercredi 5 août 1914 :

Téléphoniste a reçu nuit, à Drouville, déclaration guerre - lecture au retour aux tranchées - enthousiasme - 4 moutons hussards tués avec sabre - journée occupée à fouiller horizon - Alerte - 2° div. cavalerie Lunéville passe, s'empare Vic et Moyenvic - J'hérite carte état-major.

 

Haraucourt, 6 août

Six heures matin

Ma bien chère Irène

Parti depuis deux jours aux avant-postes, je n'ai pas trouvé l'occasion de venir causer un peu par lettre, avec toi.

Avant de me remettre en route ce matin, je te griffonne rapidement quelques lignes pour te dire que je suis toujours en excellente santé et aussi dispos que possible. D'ailleurs, l'état de toutes les troupes est admirable. J'espère, ma chère Irène, que toi aussi tu es bien portante. Soigne-toi bien avec les enfants et ne te laisse pas abattre par le découragement ou l'ennui. Des nouvelles nous sont parvenues de Nancy par l'Eclair[1], arrivé et distribué dans le pays où nous cantonnons. Jusqu'alors, nous ignorions tout des nouvelles intérieures et extérieures. Ainsi des rapports, transmis de bouche en bouche, nous faisaient connaître les incidents de frontière dans notre voisinage. Bientôt, nous allons donner le coup de bélier définitif et bientôt, je l'espère, je te reviendrai. Reçois ma bien chère Irène mes plus doux baisers. Ton Gaston.

Embrasse bien Jean et Simonne. Amitiés à tous, au journal, à Mr "A", "B", à Mmes "C", "D".

J'ai été nommé officiellement sergent sur les rangs, il y a 3 jours.

Ecris-moi vite : Ducloux, Sergent 146° - 9° Cie - Troupes de couverture.

As-tu reçu l'argent de l'Eclair et du Daily[2]? Dans le cas négatif, dis à  "B" de récrire.

 

Sur agenda - Jeudi 6 août 1914 :

10 heures tranchées - retour 11 heures - rassemblement place du Mail - annonce marche en avant 20° corps - brigade 5° hus. tue 3 espions Ecuelle - Enthousiasme - Drapeaux salle des fêtes - 4° bat. de chasseurs - 39° Artillerie - Déception.

Couché chez un ami de l'Eclair.

 

Sur agenda - Vendredi 7 août 1914 :

Réveil 4 heures matin - Départ retardé - nouvelle déception - journée occupée à nettoyer - passage 7° hussards, patrouille 66° - couché nuit issues.

Affichage 9° dépêche officielle préfecture à l'église.

 

Sur agenda - Samedi 8 août 1914 :

Haraucourt - Toute la journée garde des issues - arrivées des autos - télégraphistes apportant collection Eclair.

Fermier Bois le Duc ayant donné refuge aux Allemands est fusillé - 7° hussards.

 

Sur agenda - Dimanche 9 août 1914 :

Lever 4 heures - Passage du 15° corps   58-40   11° art.

6 hussards Marseille.

Reste au cantonnement.

 

Haraucourt, le 9 août 1914

Ma bien chère Irène

Nous sommes toujours à Haraucourt, occupant des points stratégiques pour permettre la concentration des troupes. Nous avions cru partir ce matin à 4 heures et nous attendons. Aussi j'en profite pour t'écrire deux mots que je remettrai aux automobiles qui passent ici chaque matin. J'aurais été heureux de revoir hier soir le chauffeur auquel j'avais remis ma lettre, afin qu'il me donnât de tes nouvelles, mais il n'est pas revenu. C'était Mr "E", du Petit Vatel, qui l'a remplacé. Ce matin est passé, à la 1ère heure, Mr "F", le marchand de poissons, emmenant des télégraphistes.

J'aime à penser que tu es bien portante et que tu continues à te soigner. Il y a des visites de médecins à Nancy ; il ne faut pas manquer d'aller les consulter chaque fois où tu te sentiras souffrante, mais j'espère malgré tout que tu ne manqueras à aucune règle de prudence. Tâche de m'écrire. Demande aux automobilistes que je t'enverrai s'ils peuvent te prendre une lettre et à quelle heure. Je m'ennuie de savoir comment tu as organisé ton petit intérieur.

Tu n'as pas dû recevoir des nouvelles de Sedan. Henri[3] doit marcher contre l'armée allemande de Belgique ou sur celle qui a franchi le Luxembourg. Albert Fuselier[4] doit être parti aussi comme territorial. À bientôt ma chère Irène et reçois mes plus doux baisers. Ton Gaston. Que font Jean et Simonne, Mr Mme "C", Mme "D" ?

 

Sur agenda - Jeudi 13 août 1914 :

Nuit à Moncel[5], à la sortie du village - Départ matin, soutien de l'artillerie.

Midi, attaque sur Pettoncourt[6].

 

Sur agenda - Vendredi 14 août 1914 :

Nuit passée de garde au dessus gare - Ronde à 2 h matin à la gare - Sondage de la Seille - Midi, visite à Chambrey[7] où l'on a du tabac - Gare et maisons ont été saccagées.

2 heures, Section 9° au dessus de Chambrey attaquée - 1 sous-off. tué par sergent réserve - Martin trouve magnifique browning.

Retour à la ferme - Départ à 8 heures - plats repas du soir renversés - Descente à la gare - préparation à l'attaque et défense du village.

 

Sur agenda - Samedi 15 août 1914 :

Départ 1 heure matin garde pont au Sud de Chambrey - Gourbi - Station électrique - Feu sur aéroplane.

À l'est, duel artillerie - Allemands se replient.

Au nord, 1° section 9° attaquée - Caporal Rebouchet tué, Grandcollin et Boursier blessés en recherchant caporal chef Deville (?), disparu la veille - Adjudant tue 2 uhlans - Orage éclate le soir - La 9° rentre à la gare où elle couche.

 

Lettre non datée, mais forcément écrite dans la nuit du 14 ou du 15 août 1914 :

Ma bien chère Irène,

Vendredi 1 heure du matin - Aux avants-postes.

Je te griffonne 2 mots à la lumière d'une bougie après une vive alerte sur Chambrey que nous occupons. Je t'envoie cette carte par un douanier qui fera de son mieux pour la faire parvenir. J'ai reçu un mandat du Daily Mail aujourd'hui. Touche-le et garde l'argent. As-tu reçu celui de l'Eclair? Dans le cas contraire, fais écrire par "B". J'ai reçu ta carte ce matin mais il est probable que tu ne reçois pas les miennes, et cependant je t'écris chaque jour. Je suis toujours en bonne santé et dans le meilleur esprit comme tous les camarades. Cela va chauffer je crois. Que Dieu nous garde. Je t'embrasse de tout... (la fin manque)

 

Sur agenda - Mercredi 19 août 1914 :

1 heure - Toujours en station près de la grand gare - Froid vif.

3 h 1/2 petit jour - Rejoignons emplacement petit poste - Patrouille va fouiller jusqu'à Laneuveville[8] - Rencontre uhlans quittant pays - Rapport du lieutenant Etienne au Commandant - À 5 heures, ordre offensive générale - Compagnie nous rejoint - Le 5° hussards passe pour éclairer 146° régiment - Sommes à gauche du bataillon - Viande et café portés à dos - Suivons la voie ferrée de Château-Salins en disposition combat.

Arrivée gare Oriocourt[9] - Croix rouge flotte sur couvent - En face nous, Delme, au pied côte - Passons à gauche Laneuveville tranchées et fils de fer - Viviers - Faxe - Descente vallée de la Nied, traversée près Oron[10], en position près du cimetière de 3 h à 5 h - Mangeons conserve avec lieutenant - À droite, allemands occupent Lucy[11] - leur artillerie démolie par la nôtre installée en face - À 7 heures arrivons à Fremery abandonné - Feu, café, oeufs - Couchons grange.

 

Sur agenda - Jeudi 20 août 1914 :

Réveil 3 h 1/2 - Café - Commandant fait rentrer dans les granges se reposer - 5 h, obus et balles crépitent - Sortons de Fremery[12] à droite, rampant fossé - 12° part en avant - Ennemi dans le bois tire sans se faire voir, appuyé par artillerie qui met feu au village - Tenons tête une heure - 12° se replie - Capitaine attend ordre - puis décide gagner ferme à gauche - traversons vivement village, glissons dans une pâture - Allemands avancent en tirant - Je suis blessé au bras gauche - Munier me fait pansement - Adieu - Allemands montent - Je me traîne - Caporal Guirmot blessé - Dabsboury et quelques hommes font feu dans une avoine sur les allemands qui montent village - Me rejoignent et lentement battent en retraite - Repasse à Viviers où je me cache fagot - Obus tombent sans relâche - Oriocourt flambe - Je suis voie ferrée Fresnes[13] - La tuilerie et la forêt de Gremecey[14] - Convoi  + (croix rouge) du 18° corps amène à Bioncourt[15], puis à Brin[16] où l'on couche.

 

Gaston a donc été blessé le 20 août 1914 en Moselle, dans une pâture à côté de Fremery. Ci-après l'article de "l'Eclair de l'Est" :

 

A la mémoire de Gaston

Sur agenda - Vendredi 21 août 1914 :

Départ de Brin pour Nancy.

Hôpital Jeanne d'Arc - Pansé - Nuit à l'hôpital.

 

Sur agenda - Samedi 22 août 1914 :

Je quitte à 3 h l'hôpital pour mon domicile.

 

 

 

Aucun document sur la période entre août et octobre 1914.

 

 

 

Villegailhenc[17], 26 octobre 1914

Un petit mot avant le départ du vaguemestre pour te donner de mes nouvelles. Je suis arrivé ici dimanche après mille périgrinations, fatigué ou plutôt fourbu. Me voici arrivé à Villemoustaussou pour me faire incorporer et habiller. Je vais être probablement affecté à la 31° Cie, mais je te confirmerai cette affectation.

J'ai trouvé ici Mme "G" qui veille sur son fils qui a un peu de fièvre. Nous sommes ici 25 sergents dont plusieurs camarades. 18 n'ont pas encore été au feu. Le 1er départ n'aura lieu que dans trois semaines et les tireurs au flanc partiront dans les premiers, 5 ou 6 par départ. À bientôt de tes bonnes nouvelles. Je t'embrasse bien, ainsi que les enfants qui, j'espère, sont sages.

Amitiés à M. Me "C" et à Mme "D". Et reçois ma chère Irène mes meilleurs baisers.

Ton Gaston,

au dépôt du 146°, 31° Cie - Villegailhenc par Carcassonne.

 

Pennautier[18], 9 novembre 1914

Ma bien chère Irène,

Je reçois ce matin lundi la carte de Mme "C", contresignée par toi. Par le même courrier, m'arrivaient deux lettres : l'une de "B", l'autre de mon cousin Georges Vaucher[19] Sergent au 18° bataillon de chasseurs à pied, Hôpital complémentaire n° 1, Montpellier Hérault. Il avait eu mon adresse par ma tante de Reims. Voici ce qu'il me dit : "J'ai été blessé par un obus. J'ai 17 blessures : le pied gauche traversé et des plaies à la jambe gauche et à la jambe droite. La main gauche presque traversée, une blessure au dessous de l'omoplate gauche, large comme une pièce de 5 francs". Georges me demande ensuite d'aller le voir avec une permission de 24 heures. Hélas, sa lettre est arrivée deux jours trop tard car mercredi prochain c'est le départ. Cette fois, la nouvelle est officielle. Poirot part avec moi pour le Nord. À tous, espoir et courage. Je t'écrirai ce soir pour te donner les renseignements qui nous seront fournis sur notre voyage. Je voudrais te faire connaître, dès maintenant, un petit système pour que tu reconnaisses le pays d'où je t'écrirai ou ce que j'aurai de particulier à te dire. Tu relèveras dans le courant de ma missive toutes les lettres pointées que tu rassembleras pour trouver le mot. Exemple : Pennautier. Je pointerai toutes les lettres dès le début de la correspondance, pour arriver à ce mot. Tu me diras si tu as compris? C'est simple.

Je t'écrirai en cours de route, comme cela la correspondance ne cessera pas entre nous.

À bientôt, ma chère Irène. Je t'embrasse bien ainsi que Jean et Simone. Ton Gaston.

 

Pennautier, 11 novembre 1914

Ma bien chère Irène

J'ai reçu hier soir ta lettre du dimanche. Tu as dû apprendre par la missive que te remettra Gény que mon départ est ajourné. Le détachement qui devait partir aujourd'hui attend les ordres ; un second détachement plus faible va le précéder : jeudi à 10 heures du matin. Un seul sergent l'accompagne, c'est pour le 346° en Lorraine ; le premier pour le Nord. Dois-je maintenant attendre encore longtemps. Je ne le pense pas. Le major en m'examinant m'a fait remarquer que j'étais blessé déjà depuis le 20 août, et que c'était mon tour à repartir. Il ne m'a accordé un délai que parce que je n'avais pas obtenu de convalescence au dépôt, à ma sortie de l'hôpital. Or, les soit-disant bien informés parmi les gradés annoncent un grand départ pour le 17 et, cette fois, le dépôt sera vide. Je me demande même comment l'on fera pour équiper complètement tout ce monde. S'il me faut cette fois partir, je ferai mon devoir aussi simplement que la première fois. Avec vous, j'espère que Dieu me protègera et que je vous reviendrai bientôt en bonne santé. Quant à la paire de gants et le mandat annoncés, je n'ai encore rien reçu, mais je puis attendre. Ici, il fait un froid de loup. Ce n'est décidement pas le Midi que j'avais rêvé. Le vent souffle des Pyrénées et l'on doit s'habiller très chaudement. Quel temps doit-il faire en Lorraine ou dans le Nord.

Poirot passe demain le conseil de réforme. Il sera obligé de rendre ses galons s'il veut être versé dans l'auxiliaire ou changer d'arme. C'est tout ce qu'il peut attendre du conseil de réforme qui se tient à l'hôpital de Carcassonne. J'essaierai samedi d'avoir une permission de 24 heures pour Montpellier. J'espère qu'on ne me la refusera pas, bien que je me sois fait porter malade. À part un petit rhume de cerveau, je me porte très bien. J'espère qu'il en est de même à la maison. Un mot de ta carte : elle m'a laissé sceptique. Je doute qu'on puisse écrire à Sedan, car les Ardennes doivent toujours être envahies. À moins que la Suisse ne serve d'intermédiaire. Reçois ma chère Irène, pour toi et nos enfants, mes meilleurs baisers. Ton Gaston.

Amitiés et bon souvenir à Jean et Mme "D", à M. Mme "C" que je remercie de leurs nouvelles.

 

Arles-sur-Rhône, le 17 novembre 1914

Ma bien chère Irène

Je t'ai rapidement griffonné une carte hier soir pour t'annoncer mon voyage à Arles. Comme je te l'ai écrit dimanche à Montpellier, j'ai pris le train à 6 heures et demie du soir et je suis arrivé à Arles à minuit. La petite ville était endormie et après bien des pas sous la pluie battante, j'ai pu trouver un hôtel, derrière la statue de Mistral, le poète provençal. Après une bonne nuit, je me suis rendu à Raphèle[20] qui se trouve à 8 kilomètres d'Arles. Le beau temps était revenu, le soleil aussi. La route ombragée par d'énormes platanes constitue une magnifique allée à travers les prairies de la Craux. Le mas de M. "H" constitue à la fois une jolie résidence d'hiver et une exploitation agricole. J'ai été accueilli par Mme "H", en l'absence d'Angéla venue à Arles le matin même. Henri et Albert sont hospitalisés dans cette ville chez deux personnes qui leur ont donné asile. Octave lui est à Marseille. À Raphele, j'ai trouvé la petite Louise, déjà grande et bien gentille, et le dernier petit garçon qui n'a plus ses jambettes tordues. Angéla est revenue à 4 heures du soir avec Jules. Elle est en bonne santé, a de l'embonpoint si ce n'est pas autre chose. Je ne le lui ai pas demandé, mais sa déviation de l'épaule s'accentue. Elle est bien heureuse à Raphele. Elle a une petite chambre éclairée à l'électricité, meublée simplement. Ses occupations sont restreintes, elle aide un peu la fermière et prend ses repas chez elle. La municipalité lui octroie quelques secours, Madame "H" fait le reste. On lui a promis l'allocation des mobilisés, soit 4f.50 par jour et même un rappel depuis le 1° août. Ce serait une somme de 400f. qui lui tomberait dans son escarcelle ; elle n'en aurait jamais vu autant. Je n'ai pas voulu la désillusionner, mais je crois que les secours ne sont accordés qu'à la date de la demande. Angéla voulait m'offrir 10f. alors que j'allais lui proposer le contraire. Elle a véritablement bon coeur. Je suis resté avec elle jusqu'à six heures du soir et j'ai entendu son odyssée et ses malheurs. Ils ont quitté Sapogne[21] alors que les obus commençaient à pleuvoir sur le pays. La veille ils étaient allés voir, sur les hauteurs, brûler les maisons autour de Sedan et que bombardaient nos artilleurs. En route, ils ont rencontré les habitants de St Aignan[22] qui fuyaient, car les Français réfugiés dans la garenne faisaient subir aux Allemands des pertes sensibles. Elle apprit par les "I" que grand-père Lucien (= Lucien Laqueue) avait été vu dans le sentier traversant le bois de Vendresse et qu'il avait continué seul son chemin. De même ma tante Henriette avait perdu mon oncle de vue ; elle était seule avec Clément. Lisa était partie seule de son côté, avec ses enfants. À Vendresse, Angéla ayant à se plaindre du mauvais accueil des gens de St Aignan, partit sans eux et elle ignore où ils sont allés. Enfin, elle n'a pas été la moins heureuse dans son sort, car les réfugiés dans le Midi ne sont pas tous hospitalisés. Ils logent comme ils peuvent dans des baraquements. Angéla croit avec moi que grand-père Lucien est retourné à St Aignan après l'accalmie du combat.

De retour à Arles, je suis revenu à mon hôtel. Je comptais bien partir ce matin à la première heure, mais les trains sont tous réquisitionnés par l'autorité militaire. Il aurait fallu partir à 3 heures du matin. Je n'ai qu'un train à deux heures de l'après-midi, mais je n'arriverai que très tard dans la nuit à Carcassonne, à cause des correspondances à Tarascon, Sète et Montpellier. J'en ai donc profité pour visiter la ville, antique cité gallo-romaine. Ce n'est pas Arles la Jolie que j'avais rêvé : rues étroites aux pavés ronds et glissants, chaque maison est un bar. Les Arlésiennes ne sont jolies qu'en cartes-postales ; au surplus, elles sont rares. Sans doute se cachent-elles par peur des arabes, car la ville est devenue le dépôt des tirailleurs algériens et sénégalais, des spahis et des goumiers marocains. C'est, par les rues, un défilé d’hommes traînant une jambe, s'appuyant sur des cannes, joyeux quand même dans leurs accoutrements bizarres, leurs courtes pélerines ou leurs amples manteaux rouges et blancs. Dans les grands cafés, on voisine avec tous les officiers aux tenues éclatantes. Ce qui m'a intéressé ici, ce sont les vastes arènes, les églises romanes et les quais du Rhône, auquel je préfère notre Meuse. Le mistral souffle aujourd'hui avec violence, et l'on s'engonce dans les pardessus et les fourrures.

Je vais donc rentrer demain à Pennautier. Peut-être vais-je apprendre des ordres nouveaux et le départ du dernier détachement pour Dunkerque. À quand le prochain ? Je souhaiterais être désigné, à mon tour, pour le 346°. Je serais en Lorraine, et si quelque accident par la suite m'arrivait, je pourrais avoir la chance de revenir à Nancy, mais cette fois j'espère bien rester indemne toute la campagne. Allons, à bientôt ma chère Irène de tes bonnes nouvelles et reçois pour toi et les enfants les meilleurs baisers de ton Gaston.

 

Sans date :

Viens, l'aube de décembre est belle. Exténuées

Semble-t-il, des vapeurs traînent sur la forêt.

Et la forêt, dans l'aube si belle, apparaît

Plus belle au seuil des jours de givre et de nuées.

Engageons-nous en ce sentier. Ton coeur s'étonne

D'y rencontrer notre cher rêve éclos en mai

De nous aimer, notre cher rêve parfumé...

Le rêve du printemps refleurit à l'automne.

J'ai ton amour entier, et mon amour tu l'as.

Moins fragile que les muguets et les lilas,

Notre rêve charmant et double persévère.

Bonjour, Soleil. ton orbe d'or va, peu à peu,

Monter vers le Zénith comme vers un calvaire,

Mais notre amour monte plus haut dans le ciel bleu.

Au vieux clocher, les cloches ont tinté midi.

L'air est tout bourdonnant d'un vol dévoré d'abeilles

Et les dernières fleurs des dernières corbeilles

Ont un parfum de volupté dans l'air tiédi.

La marguerite sans parfum d'avril t'a dit

Que je t'aimais et que nos amours seraient vieilles,

Et vois, le temps venu où triomphent les treilles,

Notre rêve est plus vigoureux et plus hardi.

Malgré les vents, malgré les bises hiémales,

Recru de souvenirs tendres et d'espoirs mâles,

Il vivra toujours plus tenace et plus gourmand.

Ô Soleil, moins fort que notre amour, tu déclines

Au ciel déjà. Dans quelques heures lentement

Nous te verrons mourir derrière les collines.

Le soir tombe. Le vent fraîchit. Le ciel rougeoie.

Cette heure est l'heure exquise et qui devrait surseoir.

Je t'aime plus encore au soir tombant. Le soir,

Ton rire sonne ainsi qu'une cloche de joie.

Le soir tombe et voici que s'allument aux pôles,

Fleurs d'or de notre rêve et belles comme lui,

Les étoiles du ciel défaillant. Vesper luit.

Rentrons! Le crépuscule est froid à tes épaules.

Moins glorieux que notre amour est ce couchant

Où grelotte suprêmement au ciel méchant

Une lueur mélancolique de désastres.

Bonsoir, Soleil inférieur. Tu te soumets

Aux inflexibles lois qui régissent les astres.

Tu meurs parfois, notre amour ne mourra jamais.

 

Villemoustaussou[23], 24 janvier 1915

Ma bien chère Irène

C'est de ma nouvelle résidence que je t'écris. Tu comprendras alors pourquoi tu es restée quelques jours sans nouvelles. J'étais désigné pour partir au front vendredi dernier, mais voici qu'une circulaire ministérielle est arrivée, prescrivant de confier l'instruction des bleus aux sous-officiers revenant du front. Les quatre compagnies de bleus sont à Villemoustaussou ; leurs cadres étaient composés en grande partie de fricoteurs n'ayant pas encore marché. Alors que je revenais jeudi soir de monter la garde à la caserne où sont internés des prisonniers allemands, j'étais informé que mon capitaine avait désigné au commandant du dépôt cinq sergents, dont "K" et moi. J'attendis donc d'être fixé avant de te faire connaître la nouvelle, comme pour ma désignation au feu. Samedi matin, le commandant ratifiait le choix du capitaine, sauf pour "K". Samedi à 2 heures, je quittai donc Castelnaudary avec 17 sergents à destination de Villemoustaussou. Me voici donc arrivé à destination. Accueil sympathique des sous-officiers de la 28° Cie, à laquelle je suis affecté. Encore quelques jours pour le dégrossissement obligatoire ; on est toujours un peu gêné quand on est transplanté dans un autre milieu. J'avais éprouvé un certain regret en quittant Pennautier, car nous vivions, là, la véritable et bonne vie de cantonnement. J'avais eu la chance de tomber sur un bon propriétaire. À Castelnaudary, ce fut la vie de caserne dans toute sa laideur et toute sa rigueur. À Villemoustaussou, nouveau régime de la paille. J'ai bien retrouvé ici mon ami Poirot qui a dégotté un lit d'une place chez l'habitant. Nos prédécesseurs ont gâté les indigènes. N'ayant pas comme à Pennautier de billet de logement, ils ont loué des chambres à 1f. la nuit. Moi, je ne marche pas. J'engueule ces braves méridionaux qui veulent vivre sur notre dos jusqu'au bout.

Quel temps doit-il faire à Nancy, car depuis six jours il pleut sans discontinuer. Quand j'aurai des économies, je m'offrirai une pélerine caoutchoutée comme les copains. Si le "Daily Mail" insère l'article que je lui ai envoyé, je pourrai réaliser le projet que j'ai formé, mais voici quinze jours que j'ai écrit et je n'ai pas de nouvelles. Aujourd'hui, il neige abondamment. Toute la Montagne Noire est poudrée de frimas, mais cette neige n'est pas consistante. Je profite donc de cet après-midi de dimanche pour faire ma correspondance. Je vais écrire à M. et Mme "A" pour les remercier d'un petit colis qu'ils m'ont adressé, comme à tout le personnel mobilisé, je crois. Le colis comprenait un petit cache-nez en laine tricotée (pas fameux), une paire de poignets en laine, une pochette de ce papier sur lequel je t'écris, un crayon, un quart de chocolat Stanislas, un carnet, 10 cigarettes, le tout accompagné d'une carte de visite, portant les meilleurs voeux des expéditeurs. Cela m'a fait plaisir.

J'ai reçu trois lettres de toi cette semaine ainsi que celle de Mme "C". Je ferai mon possible pour lui en accuser réception afin qu'elle ne me taxe pas d'indifférence.

J'ai reçu aussi une carte de M. "J", une lettre d'Octave qui me dit être toujours à Château-Thierry. J'ai écrit à Armand comme au colonel du 147 °, mais je suis toujours sans réponse. Je suis content des bonnes relations que tu entretiens avec Mme "B". Comme cela tu formes, avec elle et Mme "C", un petit groupe qui t'apporte un peu de gaieté dans ton isolement.

J'espère que les Boches maintenant te laissent dormir tranquille. Moi aussi je suis obligé de me lever à 6 heures du matin ; c'est un peu dur, vu la saison.

"K" faisait une drôle de tête à mon départ. Il m'a annoncé la venue prochaine de sa femme à Castelnaudary. Enfin, me voici tranquille pour deux mois. Vraiment, tes prières m'attirent les bénédictions de Dieu. Je m'en vais rester avec les bleus, sans plus entendre parler tous les huit jours de départ. Je gagnerai avec eux la frontière et, à cette époque, la température sera-t-elle plus clémente. C'est la seule chose que je considère. On m'a confié le commandement d'une section, soit 80 poilus, parisiens et bretons.

J'espère que Jean est raisonnable et que Simonne est plus sage et plus travailleuse. Amitiés et bon souvenir à M. Mme "C" et à Mme "D". Et toi, ma chère Irène, les meilleurs baisers de ton Gaston.

Comme je préfèrerais avoir un billet de logement pour le 26 de la rue de la Commanderie! Je ne coucherais pas seul et sur la paille.

 

Villemoustaussou, 2 février 1915

Ma bien chère Irène

Comme je l'avais supposé, tes deux dernières lettres ont été interverties dans leurs distributions. Le facteur vient de me remettre ta lettre du 28 après celle du 29, ainsi que le mandat-carte de 30f. Pour l'une et l'autre, merci de Désiré, puisque maintenant tu trouves le prénom plus approprié aux circonstances, et que tu te plais à l'employer maintenant. Je vois enfin que tu te réjouis de ma nouvelle situation ; elle est cause certainement de la mauvaise humeur de Mme "K" à laquelle je te prie de ne pas faire attention. Son mari est d'ailleurs le même. Il a exprimé son mécontentement à "L". Il s'est plaint que j'avais cessé de faire de lui mon compagnon habituel et d'être entré dans l'intimité des grands chefs de la compagnie, de l'adjudant et du sergent-major qui ne s'intéressaient pas à lui ; c'est un peu ce qui m'a valu d'être désigné au choix pour Villemoustaussou.

Un merci à nouveau pour le mandat. Le "Daily Mail" ne m'a rien envoyé ; je ne sais pas s'il a reçu mes articles par lettre recommandée. J'avais marqué 30 rue du Sentier et je ne suis pas sûr du numéro. Tu me demandes combien j'ai dépensé. Je n'ai aucune raison de te cacher mes dépenses, un peu élevées par suite des derniers déplacements et de l'obligation dans laquelle nous nous sommes trouvés de dîner à la cantine ou au restaurant. Il me reste donc en fin de mois 25f. pour faire le vieux garçon qui a femme et enfants. J'y ajoute mon mandat : 55f.

Tu présenteras mes sympathies respectueuses à M. et Mme "M", leur disant les voeux que je forme pour le rétablissement de leur fils.

Je suis sans nouvelles de Gény ; lui non plus ne sera pas enchanté de Mme "K", car je lui ai fait connaître les calomnies de cette femme et comme il vient, paraît-il, quelquefois à Nancy, il n'aura pas peur d'aller la trouver. Quant à toi, si tu veux me faire la surprise de venir à Carcassonne, tu me causeras le plus grand plaisir. Tu vois, je relève le gant. Allons, ma chère Irène, bons baisers de ton Gaston désiré.

Amitiés et bon souvenir à M. Mme "C".

"D" a dû rejoindre Castelnaudary, mais je l'ignore encore.

 

Villemoustaussou, 25 février 1915

Ma bien chère Irène

Je reçois ce matin ta lettre du 21 février et réponds tout de suite à ta demande concernant les officiers de réserve. La coupure du Petit Parisien concerne les jeunes soldats de la classe 1916. Il faut d'abord que ceux-ci s'instruisent et que les plus intelligents se préparent à suivre des cours pour passer officiers. Quant à moi, c'est plus simple. J'ai passé au dépôt un examen qui habituellement a lieu quinze jours avant la libération dans l'active ou dans les périodes de réserve. Je n'avais pas jusqu'ici voulu le passer, car j'estimais ne pas avoir le temps ni les moyens de devenir officier de réserve en temps de paix. Je n'étais pas comme Raoul, Etienne et Dinago. Au feu d'ailleurs, j'étais chef de section, je commandais à une section. Réglementairement, ce doit être un adjudant ou un sous-lieutenant. Comme un jury avait été constitué à Villemoustaussou pour un professeur de la Sorbonne, j'ai demandé avec plusieurs camarades à passer cet examen que mon instruction militaire et générale me permettait de subir. J'ai réussi, et maintenant je suis à la disposition du ministre de la guerre. Il en est qui le sont depuis le mois d'août et qui attendent depuis cette date au dépôt leur nomination. Je puis donc attendre quelque temps encore, suivant les besoins. Je te répète ma chère Irène que j'estime la situation d'un lieutenant moins dangereuse que celle d'un sergent. De plus, on peut envisager la question pécuniaire : 1200f. d'entrée en campagne, 250f. d'appointements mensuels, une délégation de solde de moitié pour la femme et, en cas de malheur, qu'il ne faut pas envisager, une pension assez forte pour la femme et les enfants. Te voilà donc renseignée et maintenant, attendons!

J'ai été profondément attristé en lisant la lettre de Jeanne. J'avais pensé à elle bien souvent. Dernièrement, j'ai même écrit au maire de Rilly-la-Montagne[24] pour avoir l'adresse de mon autre oncle. Jeanne est donc elle aussi tout près de Châlons, à Matougues[25] ; nous y sommes passés en promenade alors que j'étais au bourrier (?). Des nouvelles d'Henri, hélas, et de mes parents? Que sont-ils devenus? Tu as vu la détresse de Sedan, d'après le journal que je t'ai envoyé. Ma tante Adélia, la mère d'Emile Canton a pu, elle au moins, se sauver. Je vais écrire à Jeanne ce soir ou demain. Et comme il me prend l'idée de correspondre aujourd'hui avec toi, je te joins la lettre de Jeanne à la mienne mais je ne puis marquer que ma surprise d'apprendre que mes lettres ne te parviennent pas. Envoie aussi à Jeanne ma photo en tenue de campagne dans le parc de Pennautier. Félicitations aussi à notre petit Jean pour ses dessins.

J'ai reçu ce matin une lettre de Mme "C" ; je me promets toujours de lui écrire et voici qu'elle me demande si ses correspondances m'intéressent. Et comment donc. En attendant, moi aussi ma chère petite Reine, je t'embrasse de tout coeur. Ton Gaston.

 

Villemoustaussou, 12 mars 1915

Ma bien chère Irène

Hier, je t'ai remercié de ta bonne lettre et de ton petit paquet, je l'ai fait peut-être un peu brièvement, mais le temps me pressait car nous partions en école de bataillon. On ne chôme pas. Ce soir nous sommes prévenus d'une alerte vers les minuit et d'une manoeuvre qui durera jusqu'à six heures du matin. Heureusement que le temps est revenu au beau ; il est vrai qu'il est plus changeant encore dans ces pays-ci que chez nous. J'ai rencontré, au départ de l'exercice ce matin, "K" qui m'a demandé ainsi qu'à "N" et "O" si nous avions des commissions pour Nancy, sa femme devant repartir dimanche. Nous l'avons tous remercié de ses services et s'il veut me refaire cette proposition, je saurai quoi lui répondre. À une question de "O" au sujet de ce départ si précipité, alors que Mme "K" devait rester jusqu'au moment où son mari partirait, celui-ci a dit : "L'inspecteur de la maison va venir. Ma femme va toucher 50f. par mois désormais, et il faut qu'elle soit à Nancy pour le recevoir". Singulière explication. Enfin! Son séjour à Villemoustaussou ne lui aura pas occasionné en tout cas de fortes dépenses en viande. Il s'était associé avec le boucher du régiment dont la femme est arrivée récemment. Les morceaux prélevés sur l'ordinaire n'ont pas dû manquer. Il allait aussi toucher sa gamelle à la cuisine des sous-officiers. Chaque après-midi, on pouvait voir toutes ces dames faire le tour du pays en essayant d'épater les indigènes.

J'ai reçu aujourd'hui une carte de Mme "C". Elle ne veut plus m'écrire, sans doute parce que je n'ai pas encore trouvé le temps de lui répondre. Elle en profite seulement pour me faire la morale à la façon de "K". J'ai reçu aussi une lettre de Marcel qui est à conserver et une lettre de Jeanne. Je te les envoie par ce même courrier. Tu as dû recevoir ma photo, partie hier. Je n'ai pu t'expédier que celle-là car je n'en ai que 4. Dimanche, avec "P" et "L", nous avons posé devant l'appareil d'un photographe de passage. Il vient de nous apporter 12 épreuves à nous 3, pour 2f. 50. J'en ai donné une à ma propriétaire et je vais t'envoyer les 2 autres. Tu en disposeras comme bon te semblera. J'attends tes observations, que je devine, sur notre genre... de beauté à tous trois. Le soleil venait de côté et nous gênait. Ma bien chère Irène, j'espère bientôt recevoir une bonne lettre de toi. Reçois de ton Gaston pour toi , Jean et Simone mes meilleurs baisers. Ton Gaston.

 

Le sergent Ducloux, du 146° régiment d'Infanterie, à Monsieur le Commandant du dépôt du 147° R. (Lettre non datée)

"Vous avez bien voulu me renseigner sur le sort de mon frère Ducloux Victor Henri, de Sedan, réserviste au 147° et me dire qu'il était décédé aux combats de Binarville[26], au cours des combats du 14 au 18 7bre (= septembre). Permettez moi de faire appel à votre obligeance et de vous demander à quelle compagnie appartenait mon frère. Je voudrais avoir des détails sur sa mort, savoir où il est enterré. Seul son capitaine pourrait me répondre. D'autre part, je désirerais savoir si vous avez reçu au dépôt ses papiers et ses effets personnels et si vous pourriez me les faire parvenir. Je les adresserais alors à ma famille habitant Nancy. Mes parents habitant encore Sedan n'ont pas dû être informés officiellement du décès de mon frère, puisque Sedan est dans la zone envahie.

Veuillez agréer, Mon Commandant, mes salutations respectueuses".

Gaston Ducloux, Sergent au 146° régt. d'Inf., 28° Compagnie, Villemoustaussou, par Carcassonne (Aude).

 

Villemoustaussou, le 15 mars 1915

Ma bien chère Irène

En rentrant ce soir à quatre heures du tir, le vaguemestre me remet trois lettres, celles écrites les 10, 11, 12 mars. Mes félicitations et mes remerciements pour ces lettres quotidiennes qui me parviennent ensemble par la faute de la poste. Je n'y comprends rien pour les miennes ; je les dépose chaque jour dans la boite aux lettres de la compagnie. Je te répondrai donc à chacune des questions que tu me poses. Je t'ai dit qu'allait s'ouvrir la période des départs. Hier dimanche un renfort pour le 164° à Verdun ; j'ai failli le conduire. Demain, renfort pour le 31° de Paris, aux tranchées à Vauquois[27] (Argonne). Dans quinze jours, nos bleus seront presque tous partis. Quel sera mon sort? Du jour au lendemain, maintenant je peux partir. Je remettrai le sac au dos aussi courageusement que la première fois, espérant en la protection divine. J'ai demandé aujourd'hui au commandant du dépôt l'autorisation de solliciter du ministre de la guerre ma nomination de lieutenant. Je ne sais quelle réponse me sera faite. Il y a deux mois, les brevetés d'alors ont écrit, mais sur la demande du ministre, et ils attendent toujours une décision. Si l'autorisation m'est donnée, et si j'attends 2 mois, comme les camarades, il y aura bon, diraient les Sénégalais. Mais faut-il y compter? On parle d'un nouveau détachement pour le corps expéditionnaire d'Extrème Orient. Une ballade à Constantinople ou à Jérusalem enchante ici tous ceux que ne rattachent pas au pays une femme bien aimée et des enfants. Le capitaine Collmet de la Salle, de Nancy, va demain la rejoindre. Angéla aussi me laisse sans réponse, mais si Albert est malade, je comprends qu'elle n'ait pas le temps de m'écrire. Je retiens, dans ta lettre du 11, la promesse que tu me fais de ne plus dire de vilaines choses. Merci pour tes bonnes prières et je partage ta confiance en St Joseph. Je joindrai, comme tu me le demandes, la lettre du 147° ; je n'ai pas reçu de réponse du bureau de Paris, concernant les effets personnels d'Henri. J'ai perdu l'adresse d'Armand. N'est-il pas lui aussi à la 6°. Merci des photos. Elles ont rempli de gaieté les officiers d'ici qui ont été à Chambrey. Dans ta dernière lettre tu me parles de l'Eclair. Tu as donc été au bureau? Je t'assure que j'ai répondu à Me "A" et que ma dernière lettre, à mon arrivée ici, renfermait un article sur les prisonniers allemands de Castelnaudary qui a été utilisé dans un article de fond et je n'ai pas obtenu de réponse. Je vais écrire à nouveau, ainsi qu'à Mr "Q" pour le remercier de ce qu'il a fait pour moi jusqu'au mois de janvier. Quant M. "B", je suis surpris qu'il ne m'écrive pas. Il est donc auxiliaire, puisqu'il est affecté dans l'intendance, aux Commis Ouvriers d'Administration. De "J", je n'en parle pas; il ne m'a jamais intéressé malgré ses protestations d'amitié. Ils sont heureux d'avoir leurs femmes et leurs enfants auprès d'eux. La vie des tranchées leur aurait fait du bien. Quant à pouvoir m'embusquer dans un bureau, il ne faut pas y songer. Tout le monde n'a pas les reins solides comme moi. Je ne leur écrirai donc pas. J'ai écrit à M. "R" le jour où je te l'ai dit. Aussitôt connue l'adresse de M. "T", je me mettrai en relations avec lui. "K" est veuf depuis hier, je te l'ai dit. Il n'a pas encore été admis, et ne le sera peut-être pas, à passer son examen.

C'est un affreux canard de dire que les correspondances vont être interceptées pendant 40 jours. J'ai reçu une lettre de Gény qui me dit ne pas s'ennuyer et attendre la naissance de son enfant. Allons, à bientôt ma chère Irène. Reçois de ton Gaston, pour toi, Simonne et notre petit Jean mes meilleurs baisers. Ton Gaston.

Je n'ai besoin de rien pour le moment. J'ai touché du linge en suffisance au régiment, une tunique et un pantalon neufs. Tu pourrais m'envoyer quelque argent au cas où je devrais partir au feu à l'improviste, cette semaine. Je n'en serai pas moins économe.

 

Villemoustaussou, 17 mars 1915

10 heures matin.

Ma bien chère Irène

Rien au courrier de ce matin de ma petite femme. Une petite carte à la hâte avant notre déjeûner et avant notre départ à l'exercice de bataillon de l'après-midi. Le soleil du Midi véritablement se fait sentir maintenant. Depuis cinq jours, il fait un temps magnifique, très chaud et de la poussière. Hier, nous nous serions crus sur les routes du camp de Châlons[28], blancs de poussière et le gosier desséché. Au rapport de ce matin, aucune décision intéressante. Le premier ou plutôt le deuxième détachement de bleus est parti ce matin pour Castelnaudary et ensuite, croyons-nous, au corps expéditionnaire d'Extrème Orient. Attendons donc patiemment une décision et poursuivons notre petit travail habituel. Ma bien chère Irène, reçois pour toi et mes enfants mes meilleurs baisers. Ton Gaston.

 

Villemoustaussou, 18 mars 1915

Ma bien chère Irène

J'ai reçu ce matin ta lettre de dimanche. Alors que le soleil répand ici ses chauds rayons, à Nancy la pluie tombe à torrent ; mais je ne pense pas que ce beau temps dure. Rien de nouveau encore. Simplement, on m'a retourné ma demande d'autorisation d'adresser au ministère de la guerre ma fiche d'officier. Il faut attendre que le ministre demande des candidats pourvus du brevet de chef de section. J'ai reçu aujourd'hui aussi une lettre de Mme "C", un peu plus aimable cette fois, mais elle craint de m'ennuyer en m'écrivant. La pauvre dame. Voici le fils du capitaine Genay qui retourne à Nancy et qui s'offre à me porter cette lettre. Je ne sais si je veux te prier de lui remettre un petit colis. À moins d'ordre contraire, non, car je pourrais être parti. Je t'écrirai ou te télégraphierai. Ce jeune homme te dira que je suis en bonne santé. À bientôt ma chérie. Reçois mes meilleurs baisers. Ton Gaston qui t'aime.

 

Villemoustaussou, le 22 mars 1915

Ma bien chère Irène,

J'ai reçu ce matin, lundi, ta bonne lettre et je m'empresse d'y répondre après notre déjeûner habituel au café Chaffary. En même temps que ta lettre, m'est parvenu le mandat de 50f. ; ce sera le viatique suffisant pour mon entrée en campagne ; cette fois les frais de cuisine n'absorberont plus nos prêts. Aucune décision officielle à ce jour. Notre capitaine a réuni ce matin les chefs de section et nous a laissé entendre notre prochain départ. À mots couverts, on parle de jeudi. Le 143° a embarqué hier 4 compagnies. Les bruits les plus divers recommencent à circuler ; nous irions en Extrème-Orient, mais je n'en crois rien. Espérons que bientôt ce cauchemar finira. Le printemps qui nous souriait depuis deux semaines ici s'est envolé ; aujourd'hui grand vent et la pluie ; il a fallu remettre nos capotes alors que nous étions déjà habitués à aller à l'exercice en tunique.

Quelle subite transformation chez Mme "C". Elle veut peut-être te faire payer mon silence. Je me promets toujours de lui écrire et jamais je ne le fais ; l'exercice nous absorbe toute la journée, même le dimanche. Hier j'ai pu aller à la grand-messe et l'après-midi prendre part à l'exercice de foot-ball sur le terrain de manoeuvre.

Quant à ma photo, j'ai reconnu moi même que j'avais une pose bien fatiguée et j'attendais ces observations. Nous sortions de table il est vrai ; la lourdeur de la digestion et le soleil qui tapait à droite... Mais je sais parfaitement que je ne suis plus ou pas un joli garçon. Nous sommes de vieux c..., comme dirait mon ami Jacob. J'ai reçu moi aussi une lettre de Victor à laquelle je vais répondre. Allons ma chère Irène, à bientôt de tes bonnes nouvelles et crois à ma bonne affection. Doux baisers. Gaston.

J'espère que Jean et Simonne sont bien sages et en bonne santé.

 

Villemoustaussou, 2..?... mars 1915

Ma bien chère Irène

Une petite carte ce matin avant de partir aux tirs de guerre toute la journée, malgré une pluie fine et pénétrante. On vient de me remettre ta dernière lettre écrite le jour de la fête de St Joseph. Je ne puis encore te fixer sur ma situation. Nouveau contre-ordre. Nous attendons toujours. Il est bien probable que je partirai avec les bleus ; il se pourrait peut-être qu'un hasard me fit rester quelques semaines encore pour recevoir les bleus de la classe 1916. On dit même aujourd'hui que le dépôt va retourner à son emplacement primitif, à Melun. Tuyau officieux! Nous quitterons le Midi sans regret. De toute façon, ne m'envoie pas d'argent. Ce sera suffisant pour entrer en campagne. Je suis touché de tes bons sentiments mais je ne veux vous imposer aucune privation. Ma chère Irène, reçois pour Jean et Simonne et pour toi les meilleurs baisers de ton Gaston.

 

Villemoustaussou, le 31 mars 1915

Ma bien chère Irène

Le courrier de ce soir me gâte. Quatre lettres, la tienne, une de Mme "C, " une de "U", une du Service de Santé de Paris et puis l'Eclair sous enveloppe. Voici deux jours que j'attendais un mot de toi. Et pour te rassurer tout de suite, je te dirai que je suis à Moustaussou tout au moins jusqu'au 5 avril, mais rien toujours de nouveau au rapport. On dit dans les bureaux du Commandant que les cadres resteraient provisoirement ici pour recevoir les bleus qui vont arriver au nombre d'un millier après le 6 avril. Notre classe 15 irait après Pâques à Castelnaudary et serait envoyée, par détachements plus ou moins conséquents, sur le front et se fondrait avec les anciens. Il ne faut donc pas désespérer et toi surtout réagir et prendre courage. Voilà donc le mauvais temps revenu en Lorraine. Comme je te l'ai dit, il a fait au contraire beau dimanche à Montpellier, sauf à cinq heures du soir où un orage a éclaté sur la ville, mais n'a duré que vingt cinq minutes.

J'ai écrit à Armand, cependant il ne reçoit rien. Je te serais reconnaissant alors de me donner les adresses précises suivantes : Armand, Marcel, Victor, Lucie Laqueue, Jeanne Ducloux, mon oncle Victor. J'ai brûlé, il y a huit jours, toutes les lettres que je pouvais avoir et j'ai perdu les adresses, ou je les possède d'une façon incomplète. Je m'en vais récrire à Armand.

Il est toujours bien pénible d'apprendre des morts à l'ennemi de ses compatriotes. Mahut et Henrat ont ajouté leurs noms au martyrologe des fils de St Aignan.

Comme je te le disais plus haut, j'ai reçu aussi une lettre de Mme "C". Redevenue aimable, elle m'annonce son départ à Vittel. Je n'ai pas encore trouvé le temps de lui écrire. Mr "C" ne doit pas être content. Peut-être qu'en cette semaine de Pâques, j'aurai quelques instants de loisir. Je suis précisément de garde dimanche ; c'est peu rigolo il est vrai.

Troisième lettre, celle de "U". Je te la joins à la mienne. Tu apprendras ainsi les nouvelles du personnel de l'Eclair. Moi je n'en reçois pas non plus de M. "A" à ma lettre qui remonte à plus de quinze jours. As-tu envoyé ma carte de tramway, comme je t'en avais prié?

La 4° lettre que tu trouveras ci-jointe est du Service de Santé. Tu la conserveras.

Tu recevras aujourd'hui par la poste un petit paquet recommandé. C'est un bijou de valeur et de grand prix! Je l'ai payé 12 sous à un sidi. J'ai découpé la petite photo que j'avais tirée à Noël et je l'envoie à Simone, n'osant te l'offrir, la trouvant peu digne de toi. Je suis certain que Jean va la vouloir. Si tu pouvais tirer toi même, ou Mr "V", sur le cliché que tu possèdes, une épreuve et que tu la vires avec la bouteille qui te reste, j'achèterais, au prochain passage du Sidi, la même breloque. Le bijou serait assez joli s'il était en argent ou en or! Un jour, pour toi, je tâcherai de trouver mieux. Ma bien chère Irène, reçois de ton Gaston ses meilleurs baisers.

Gaston Ducloux.

 

Réponse du Commandement du dépôt du 147°( au dos de la lettre de Gaston) au sujet de Victor Henri :

"En réponse à votre demande, j'ai l'honneur de vous faire connaître que le soldat Ducloux Victor appartenait à la 6° Cie du 147°. Les objets trouvés sur les militaires décédés sont envoyés au Bureau de Renseignements et de Comptabilité de l'Armée (Service de Santé) à Paris, auquel vous devez vous adresser pour entrer en leur possession.

Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de ma considération distinguée.

Pour le Commandant du Dépôt, signature illisible".

 

Annotation du Service de santé de Paris sur cette même lettre :

"Vu, aucun effet personnel. Habt".

 

 

Villemoustaussou, 1 avril 1915

Ma bien chère Irène

Mon petit mot journalier ce matin avant de me rendre au tir. Voici l'hiver qui va revenir dans le Midi : il fait froid, morne et triste. Les petits bleus commencent à s'impatienter ici et ne demandent qu'à être mis en route. Rien de nouveau encore. Jeudi Saint. Demain, maigre. Combien vont être peu agréables, et pour toi et pour moi, ces fêtes de Pâques. L'an dernier je crois, nous étions allés à la Cure d'Air. Dimanche, je penserai bien à vous et Villemoustaussou me verra certainement toute la journée, car que faire dans ce pays et loin des siens. Ce soir, je t'écrirai bien plus longuement à mon retour. Ma bien chère Irène, reçois de ton Gaston ses meilleurs baisers, pour toi, notre petit Jean et Simonne.

Gaston Ducloux.

 

Villemoustaussou, 3 avril 1915

Ma bien chère Irène

Je viens de passer une journée au cours de laquelle j'ai eu quelque émotion. Qu'as-tu ressenti, toi aussi ma chérie, au reçu de mon télégramme. Voici l'explication. Vendredi, au rapport, lecture est donnée d'une lettre du Commandant du dépôt ordonnant de réduire à huit le chiffre des sergents-instructeurs, et de renvoyer les autres à Castelnaudary pour un renfort du 146°. Nous sommes actuellement 10 à la compagnie. Le capitaine aussitôt nous réunit et décide d'envoyer les plus anciens au dépôt. Je suis le premier, et mon chef de demi-section le second. Nous fûmes donc désignés et je t'adressai aussitôt le télégramme, pour parer à tout incident avant mon embarquement au front, ou le corps expéditionnaire, ce dernier plutôt. J'étais bien décidé à partir puisque c'était mon tour. Au dîner, les vieux réservistes, sergent-major en tête, me firent ressortir qu'il aurait été préférable que ce fut deux jeunes sergents qui fussent désignés. Nous en avions justement deux, partis comme caporaux et nommés ici, il y a quelques semaines. Ils ont 25 ans et sont célibataires. J'envisageai mieux alors ma situation et, pensant à toi et à nos deux petits, je me rangeai à l'avis de mes camarades. Le sergent-major, avant de transmettre l'état des sous-officiers au Commandant, avisa ce matin le capitaine qui promit de tous nous réunir. À 4 heures, cet après-midi, nous étions tous au bureau et le capitaine, très impartial, demanda à chacun son avis sur le procédé à suivre pour la désignation des sergents. La plupart estimèrent qu'il fallait suivre le système indiqué, par ancienneté ; certains ajoutèrent qu'il fallait aussi tenir cas des situations de famille. Interrogé à mon tour, je me rangeai à ces deux avis mais je fis ressortir que, dans mon ancienne compagnie, on désignait d'abord les jeunes promus. Le Capitaine décida d'en référer au Commandant. À 5 h 1/2, nous avions la réponse de celui-ci. Les jeunes partiront sans avoir eu le beau geste de se désigner eux-mêmes.

Et voilà pourquoi je m'empresse de t'écrire ce soir pour te rassurer. Tu avais donc bien raison d'être confiante dans tes prières et je t'en remercie de tout mon coeur. Maintenant quel va être mon sort? À moins d'imprévu, comme ce dernier ordre, je reste avec mes camarades pour instruire la classe 16. Si on réduit le nombre des sergents, c'est que les bleus aussi ne seront pas nombreux : 700 au lieu de 1200. Et l'on a besoin de sergents à Castelnaudary pour encadrer la classe 15, qui va partir dans quelques jours, et pour former les nouveaux régiments. Instruirai-je cette classe pendant trois mois? Ce serait à souhaiter. C'est peut-être probable, à moins toujours d'imprévu! Dans la compagnie de "K", le cas ne s'est pas présenté, car elle possède le cadre réglementaire de sergents, soit dix. "K" devait rigoler dans son for intérieur. Sa femme aurait pu dire, pour expliquer mon départ, que je ne faisais pas un assez bon instructeur et qu'on m'avait préféré son mari. (suite manque)

 

Villemoustaussou, 6 avril 1915

Ma bien chère Irène

Le vaguemestre m'a apporté ce matin à l'exercice ta bonne lettre du 2 avril. Après les fêtes de Pâques ensoleillées et des 25° de chaleur, voici l'hiver revenu. Nous gelons comme en janvier. Jamais je n'ai vu température aussi changeante. C'est pis qu'en Lorraine. Rentrés de l'exercice à 10 h, depuis 6 h que nous sommes partis. À onze heures nous allons faire nos adieux à nos petits bleus qui vont commencer à nous quitter. Il y a un départ de 200, 50 par compagnie, pour Castelnaudary. Les autres départs vont se succéder pour faire place aux nouveaux. Mes petits bleus avaient caressé l'espoir de partir avec moi ; ils sont bien déçus et je m'en voudrais presque de ma réclamation si je ne songeais à vous. Il me semble que l'on me regarde de travers ; de plus l'un des sergents qui part, va me débinant si bien que je vais être obligé de lui tirer les oreilles. Mais, après tout, je me moque du qu'en dira-t-on. Ni l'un ni l'autre de ces gamins n'ont eu le geste élégant et je sais que tous les commentaires ne sont pas en leur faveur, surtout de la part des autres sergents. Cela me suffit.

"K", paraît-il, n'est pas rassuré à la suite de la manière de voir que j'ai fait accepter par le Commandant. Il a été nommé régulièrement, il y a peu de temps, et ses camarades, dans un cas de départ, le feraient désigner ; mais je ne souhaite misère à personne.

Ta bonne lettre m'a fait bien plaisir. Certes, ma chérie, notre éloignement nous pèse à chacun. Sera-t-il encore de longue durée? Non, espérons le. Il faudrait que bientôt tout rentre dans l'ordre et le calme, et que chacun reprenne sa vie normale. Quelle joie le jour où l'on appellera, dans une gare queconque, les voyageurs pour la direction de l'Est ou de Nancy. Que le Bon Dieu me garde et me rende bientôt à ma petite famille. C'est notre voeu à tous, n'est-ce pas ma chère Irène?

Jean doit être un joli petit soldat avec son bonnet de police. Tous les gamins de Villemoustaussou en sont eux aussi pourvus ; et des galons d'or ou de laine aux manches.

J'ai écrit hier à Marcel, précisément. Quant à Georges, il n'est pas tout à fait sans argent. Sa tante Marguerite de Paris lui en envoie de temps à autre, et comme il est à l'hôpital, il n'a pas beaucoup d'occasions de dépenses. Merci cependant pour ton beau geste généreux. Je suis surpris que M. "R" ne m'ait pas répondu ou ne soit pas allé te trouver. Je lui écrirai à nouveau. Quant à l'Eclair, je ne sais s'il faut encore espérer après la lettre de M. "W". Je n'hésiterai pas à lui casser le morceau. Allons ma chère Irène, reçois les bons baisers de ton Gaston, qui lui aussi ne t'oublie pas et t'aime comme au premier jour.

 

Lettre non datée et dont le début manque :

... Jusqu'ici je n'ai pas encore reçu mon journal, pas plus qu'une réponse de M. "W" à une lettre envoyée il y a un mois. Hier, j'ai envoyé à M. "A" quelques lettres et cartes postales allemandes saisies sur des prisonniers. Peut-être va-t-il enfin sortir de son mutisme. Aussitôt que j'aurai quelque loisir, soit que nous allions au repos, soit que nous soyons tranquilles ici, je tâcherai de lui envoyer quelques anecdotes. Je verrai alors si la Presse régionale veut faire quelque chose pour ses employés. Voici aujourd'hui toutes mes nouvelles. Mes amitiés à tous, en particulier à M. Mme "C", à Mme "D" dont tu ne me parles guère, ni de l'une ni de l'autre. J'espère que les enfants sont bien sages, qu'ils sont en bonne santé comme leur papa le désire pour eux et leur maman. Ma bien chère Irène, je t'embrasse de tout mon coeur. Ton Gaston pour toujours.

 

Villemoustaussou, 10 avril 1915

Ma bien chère Irène

Je reçois ce matin ta bonne lettre ; elle m'a bien fait plaisir et m'a témoigné de ton excellent esprit puisque tu as retrouvé tout ton calme. Simonne est bien sage : tant mieux et qu'elle persévère en travaillant bien à l'école. Jean lui aussi fait des progrès : sa copie des Enfants de Marcel et ses additions témoignent de ses progrès en classe. J'aime beaucoup trouver, joints à tes lettres, ses petites notes et ses dessins.

Toujours du changement et des notes nouvelles au dépôt. Un sergent de la 27° nommé vaguemestre est remplacé par un de ceux qui ont été désignés à ma place pour partir. "O" est nommé sergent d'ordinaire en remplacement du titulaire libéré comme auxiliaire de la classe 13. L'autre sergent qui devait partir prend la place de "O". Autre note ce matin : quatre sous-officiers, par compagnie, rejoindront lundi Castelnaudary pour instruire la classe 16 en caserne et la ramener à Villemoustaussou dans un mois. Ont été désignés 4 inaptes, par suite de blessures, à faire campagne. Le sergent Ducloux fera fonction d'adjudant. Quel honneur! Maintenant, qu'allons-nous devenir? Il reste ici cent bleus par compagnie qui rejoindront par petits détachements Castel, au fur et à mesure des besoins. Nous continuons donc à les instruire ; le capitaine nous a dit que nous attendrons ici les bleus de la classe 16. Mais ne faudra-t-il pas des sergents pour encadrer la classe 15 à son départ d'ici? On ne peut pas être tranquille. Si les bleus étaient venus directement ici, on aurait pu avoir quelque certitude, mais un délégué du ministre est venu et a obligé à recevoir les bleus à Castel. Espérons toujours!

Le mauvais temps dure toujours ; il est certain qu'à Nancy c'est la même chose. Encore un retard pour l'offensive.

Mme  "D" est une pince sans rire. Elle veut me rappeler qu'à elle aussi j'oublie d'écrire, pas même une carte-postale. Demain c'est dimanche ; s'il fait mauvais temps l'après-midi, je ferai un petit effort. Ma bien chère Irène, embrasse tendrement Jean et Simone pour moi et reçois mes bons baisers. Ton Gaston.

 

13 avril

Ma chère petite Reine

J'apprends par les journaux que ces lâches allemands ont bombardé, du haut de leurs zeppelins, la ville de Nancy. Notre quartier a été épargné mais que faisaient nos réflecteurs? Et nos artilleurs? Quelle peur encore pour vous! J'aurais encore voulu être à tes côtés. Ecris-moi vite avec des détails.

Des camarades m'apprennent que "K" va encore recevoir sa femme. Il s'est fait délivrer un certificat de maladie pour lui permettre d'avoir un permis de demi-place.

J'aurais voulu pouvoir t'écrire plus longuement, mais nous partons au tir. À ce soir. Ma chère Irène je t'embrasse de tout mon coeur. Gaston.

 

Villemoustaussou, 15 avril

Ma bien chère Irène

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas, dit un proverbe. Hier, je croyais, à bref délai, rejoindre avec mes petits bleus le front des armées. Ce matin, une circulaire ministérielle est arrivée demandant un état de proposition au grade de sous lieutenant, pour l'instruction de la classe 16, des sous-officiers pourvus du brevet de chef de section. Je suis le seul proposé. Et mon ami "K" fait un nez incommensurable. Les propositions partent au ministère de la guerre où elles doivent parvenir avant le 25 avril. Dès ce jour, je ne suis plus mobilisable et je puis attendre au moins trois semaines. Prie le Bon Dieu que ma demande soit accueillie favorablement, car ce serait le rêve pour moi. Appointements sérieux, près de 200f. par mois ; tranquillité pendant 3 mois et d'ici là, le grand effort sera fait. Ce qui me donne un certain avantage, c'est que j'ai été blessé, que j'étais au feu chef de section, et que j'occupe dans la vie civile une situation libérale et indépendante.

Ce matin j'ai reçu ta lettre si attendue. Notre bon petit Jean est bien gentil d'implorer pour son papa la protection du bon Dieu. Je suis heureux que la ville de Nancy ait été relativement épargnée et que tous en aient été quittes pour la peur. Ma chère Irène reçois de ton Gaston ses meilleurs baisers. Gaston Ducloux.

 

Villemoustaussou, 19 avril 1915

Ma bien chère Irène

Un petit mot cet après-midi avant de partir à une revue. On décore mon capitaine, M. Schlumberger, de la croix de la Légion d'honneur. Il a eu l'oeil arraché par une balle dans un combat livré dans la Somme. Aujourd'hui, grand bouleversement au dépôt. On rappelle tous les sous officiers par ancienneté à Castelnaudary. Deux seuls doivent rester ici. Je serais parti si je n'étais obligé d'attendre le retour de mon dossier du ministère de la guerre. Je reste avec "O". "K" ; il est furieux de me savoir encore ici et de ma proposition. Il l'a bien fait remarquer à des copains, disant que je savais me défiler partout. Que va donc trouver à dire sa femme qui devait venir le rejoindre le 24. Je m'en moque après tout. Chacun pour soi. Rien de particulier ici ; toujours la pluie. Ma chère Irène, reçois pour toi et les enfants les meilleurs baisers de ton Gaston. J'attends toujours des nouvelles de l'Eclair. J'ai récrit à M. "W" et je ne lui ai pas caché ma façon de penser, d'une façon adroite cependant.

Gaston Ducloux.

 

Villemoustaussou, 23 avril 15

Ma bien chère Irène

Je reçois ce matin tes deux bonnes lettres du 19 avril, la première avec celle de Me "C", la seconde, celle qui m'a fait le plus plaisir, dans laquelle tu m'offres tes meilleurs voeux de fête. Je les accepte de tout coeur et j'en suis très touché. Certes, il n'était point nécessaire de penser arriver avant d'autres que j'ignore. Ces voeux précisément m'arrivent à la veille de ma fête. Merci également à ces chers petits qui se sont joints à leur maman ; je conserverai précieusement leur gentille carte comme un porte-bonheur. J'aurais voulu moi aussi être à Nancy. Espérons que l'an prochain nous pourrons ensemble nous congratuler. Quant au paquet que tu aurais l'intention de m'envoyer, il vaudrait mieux pour le moment y renoncer, car il faudra encore bien un mois pour qu'il me parvienne et, d'ici là, il y aura du changement dans ma vie. Je ne sais rien encore sur ma nomination. Nos dossiers devaient être au ministère de la guerre le 25 ; une décision sera prise d'ici le 1er mai sans doute. Je ne me fais pas d'illusion car il paraît que tous les adjudants et sergents-majors de Castelnaudary ont eux aussi fait leur demande, et comme ils sont près du soleil, ils pourront réussir. J'espère tout de même, confiant en tes prières.

Les sergents qui sont partis, il y a quelques jours, n'ont pas moisi au dépôt ; les uns sont au 346, d'autres au 146, d'autres enfin encadrent un bataillon de marche, le 420, qui va aller au Camp de Mailly. Je ne sais pas encore le sort de "K" ; je le saurai sans doute ce soir, par des camarades du 420 venant de Carcassonne. Il nous reste ici 50 poilus, ce sera pour le prochain départ et, si je ne suis pas nommé lieutenant, je les accompagnerai sans doute.

J'espère que Jean est remis de son indisposition et que maintenant il retourne en classe. Je vais faire mon possible pour écrire à M."C" demain ; ce n'est pas de la mauvaise volonté ni de l'indifférence. Allons, ma chère Irène, à bientôt et reçois les bons baisers et, encore une fois, les remerciements de ton Gaston qui ne t'oublie pas.

G. Ducloux

 

Carte-lettre reçue par Gaston à Villemoustaussou :

"Le 23 avril 1915

Monsieur Ducloux

En réponse à votre lettre du 15 courant, voici les renseignements recueillis sur la mort de votre frère. Il fut tué le 16 septembre au cours d'une charge à la baïonnette sur Binarville. Sa mort fut celle d'un brave frappé d'une balle au coeur qui l'arrêta net dans sa course. Il s'est abattu et n'a plus bougé, ce qui fait supposer qu'il n'a pas souffert. Quant à l'endroit de la tombe, ce sont les Allemands qui ont dû en prendre soin, car à la nuit nous devions nous replier dans la forêt et laisser nos malheureux camarades sur le terrain.

Recevez Mr l'assurance de mes meilleurs sentiments. RD."

 

Villemoustaussou, 25 avril 15

Ma chère petite Irène

Quel triste et mélancolique dimanche! Cependant le printemps chante partout et invite à la gaieté. Le soleil du Midi, le vrai soleil cette fois, dore la campagne toute verdoyante et cependant j'ai l'âme bien en peine.

Ce matin, avant le rapport, je suis allé à la grand-messe et puis ce fut le déjeûner. Mais notre popote a perdu son animation et son charme qui nous faisaient oublier tous nos ennuis. Où sont les tablées de 20, 30..., plus d'interpellations, plus de cris, plus de chant. Cinq sous-officiers seuls restent à la compagnie dont trois inaptes. On déjeûne ou on dîne tranquillement, sans crainte de recevoir une demi-boule de pain sur la tête, mais l'ennui pèse comme un malaise sur le cercle. On sent que pour tous des décisions nouvelles vont naître. Ce sera bientôt notre tour de quitter Villemoustaussou. On annonce le départ des derniers bleus pour mardi. Il faudra les encadrer. La réponse sera certainement revenue du ministère de la guerre et je serai définitivement fixé sur mon sort. Cela me pèse de vivre dans l'incertitude. Plusieurs de nos camarades sont venus cet après-midi de Carcassonne ; ils cantonnent dans cette ville en attendant le départ du bataillon de marche du 76° auquel on les a affectés. Ma pensée va donc vers toi tout entière. Je voudrais déjà la nuit venue et m'endormir avec ton visage dans ma tête, car c'est le soir seulement que je me sens le plus heureux. Cet après-midi va s'achever dans un tête à tête avec mon ami "O". On se regardera comme des chiens de faïence et puis ce sera le dîner, après que l'un et l'autre nous aurons dit cent fois "Vivement Nancy!" Eh oui, ma chère Irène, mais en attendant je ne puis que t'offrir l'assurance de mon bon souvenir et de mon affection. Reçois pour toi et les enfants les baisers de ton Gaston.

 

Villemoustaussou, 30 avril 15

Ma bien chère Irène

Ta lettre de ce matin m'a causé le plus vif plaisir, surtout d'apprendre par la carte que grand-père Lucien avait été évacué par les allemands par la Suisse. Schaffhouse est la dernière gare internationale. Tous les évacués sont dirigés sur Annemasse (Hte Savoie) ; un comité, dont je tâcherai d'avoir l'adresse, les répartit dans le Midi. Mr "C" pourrait te la procurer. Ce serait donc à ce comité qu'il faudrait écrire pour savoir où grand-père Lucien a été évacué. Celui-ci, sur sa demande, pourra être dirigé sur Nancy et, je crois, toucherait une allocation, ce qui vous permettrait de vivre sans souci. J'ai l'espérance aussi d'apprendre, un de ces jours, l'arrivée de mes parents en Haute Savoie , ce serait à souhaiter; vous vous trouveriez tous réunis à Nancy et je demanderais à l'Eclair de trouver une situation à Marie et Lucie.

J'espère que Simonne va mieux, mais toi aussi il faut te soigner. Tu pourrais aller à la consultation l'après-midi à l'hôpital, près de M. "X" dont je t'ai parlé, ou au dispensaire de la Croix Rouge, rue St Fiacre. Il faut veiller à ta santé et prendre des précautions. Quant à moi, ma santé est plus que parfaite ; je commence à retrouver mon poids, bien que déjà la chaleur se fasse sentir dans le Midi.

Rien de nouveau sur ma situation militaire. Ma chère Irène, je t'embrasse de tout mon coeur.

Gaston Ducloux.

 

Villemoustaussou, 5 mai 15

Ma bien chère Irène

Au courrier de ce soir deux lettres, la tienne et celle de Mme "C". Celle-ci me parle de la mort de sa grand-mère, de son retour à Nancy et de la représentation à laquelle elle emmène Suzanne. Elle s'excuse aussi de ne pas m'avoir souhaité ma fête et d'avoir oublié sa lettre sur la table avant son départ, et une prière de ne pas lui en tenir rigueur.

Mme "C" me dit aussi que son mari a vu des réfugiés de St Aignan et de Nouzon, alors que tu ne me parles que de ceux de cette dernière ville. J'ai eu aujourd'hui l'occasion de retourner avec ma compagnie à Villegly et de revoir les réfugiés de Sedan. Cette fois, les jeunes filles étaient là ; elles connaissent bien mes soeurs et elles m'ont affirmé les avoir vues la veille de leur départ, alors qu'elles allaient au pain. Il est probable que mon père, étant employé de la ville, ne sera pas évacué car les allemands font fonctionner tous les services ; ma famille ne serait pas trop malheureuse à la suite de cette situation. Contrairement à ce qui m'avait été dit, M. "Y" serait parti avant l'occupation allemande. Les allemands n'auraient pas commis trop d'exactions ; polis avec les femmes ; certaines même leur ont accordé leurs faveurs, et les réfugiés me citaient : la mère de Jean "Z", Mme "A1" la jeune charcutière, la femme du Familistère qui fréquentaient, paraît-il, des officiers allemands, et que l'on aurait obligées à aller à la visite sanitaire, car la police allemande est très sévère.

Melle "B1" connaissait très bien aussi notre pauvre Henri. Les allemands reconstruisent en ville, créent des jardins, plantent des pommes de terre et font garder la nuit ces jardins. Ils paraîssent découragés cependant. Beaucoup se suicident au pont de Meuse, pour ne pas repartir au front.

Tu me demandes s'il faut faire venir grand-père ; mais oui, s'il y consent. On pourra trouver à l'occuper, et tout au moins, ses 25 sous paieront sa nourriture. Il aura son voyage payé aussi. Mr "C" te fera la demande au Préfet. Ma chère Irène, reçois les bons baisers de ton Gaston qui pense sans cesse à toi et te désire de tout coeur. Gaston.

 

Villemoustaussou, 9 mai 15

Ma bien chère Irène

Voici le mauvais temps revenu dans ces pays. Depuis huit jours il pleut sans discontinuer. Quel triste dimanche à ajouter encore aux autres. Cet après-midi, nous restons dans la salle où nous prenons nos repas au café Chaffary. Il y a un billard, mais cela ne m'intéresse pas ; la manille, c'est aussi fastidieux. Je préfère d'ailleurs t'écrire ma petite lettre quotidienne et t'envoyer mes meilleures pensées. L'ordre vient d'arriver de préparer un départ de bleus pour le 146° ; vingt par compagnie. Cela va me donner aussi une certaine occupation et une certaine distraction : les réunir, les armer et les équiper, et aussi les surveiller. Le pinard, comme ils disent, est bon marché : quatre sous le litre ; avec son prêt de 0, 50 on peut se payer une muflie ; et comme ils l'ont touché avant leur départ, dame! Ils nous quitteront demain à six heures pour Castelnaudary et ensuite Arras, où se trouve actuellement le 146° de retour d'Ypres. Et maintenant ce sera la tristesse dans ma compagnie et surtout dans ma section. Il ne m'en reste plus que quarante, les retardataires et les malades. On va préparer le déménagement pour Alzonne ; le départ est toujours fixé au 15 mai. Après le cantonnement préparé, on regagnera la caserne bien triste de Castelnaudary, et après, à Dieu vat, comme disent les marins ; à moins que la nomination attendue ne soit annoncée. On n'entend plus rien dire. Le ministère de la guerre aime faire trainer les choses en longueur ; et puis, les demandes étaient tellement nombreuses ; les vacances aussi au front.

Ce dimanche aussi pour toi, je le sais, n'est pas gai. J'espère maintenant que ta santé est bonne, que notre petit Jean et Simonne sont complètement remis de leur indisposition et que tous trois vous serez plus ou moins tranquilles en attendant un retour auquel j'aspire et que je désire tant. Si Nancy n'était pas dans la zone des Armées, et si j'étais assuré d'être encore dans le Midi à la Pentecôte, je me ferais une fête d'aller vous revoir. Une chose seule serait possible, si j'étais nommé sous lieutenant. Sur ma première prime d'habillement, t'offrir un voyage à Paris et moi t'y retrouver 48 heures. C'est le beau rêve que parfois j'ai caressé, mais ce n'est qu'un rêve et je te le fais partager. Il est trop beau n'est-ce pas. Je serais si heureux de te serrer dans mes bras, depuis cinq mois que tes caresses me manquent. Sois en assurée, ma chère Irène, je n'en ai pas cherché la consolation dans des amours passagères, et dangereuses …à la "K. " C'est toi seule, ma bonne petite, que je sais aimer et c'est à toi seule que je garde toute mon affection. L'éloignement n'aura fait qu'aviver nos désirs et nos bons sentiments. Espérons qu'il sera de courte durée maintenant. Ecris-moi aussitôt reçue la lettre de grand-père. À bientôt, et garde pour toi les plus affectueux baisers de ton Gaston.

 

Castelnaudary, 22 mai 1915

Ma chère petite Irène

Comme les journées sont longues et bien occupées en caserne. Après dîner, me voici remonté dans ma petite chambre au 4° étage sans ascenseur, et ma pensée s'en va vers toi, ma bien aimée que je regrette tant et que je voudrais combler de mes caresses. Cette solitude à la caserne me pèse, entouré d'innombrables sous-officiers qui me sont tous indifférents et dont, pour la plupart, le seul souci est de parader en tenue fantaisie, bottines képi et gants, de nous éclabousser de leur luxe. Dans ce pays, je me sens plus étranger encore. Cette atmosphère de caserne m'oppresse, alors qu'à Villemoustaussou nous vivions quasiment une vie de famille, à dix. Nos chères femmes cependant nous manquaient et, crois le bien ma chérie, pas de remplaçantes, et tous de regretter leur intérieur, leur bon petit nid d'amour, les caresses folles. Oh! comme je voudrais aujourd'hui et toujours sentir un peu mon coeur trembler sur le tien. Je vis de ton premier à ton dernier baiser, Petite Reine, si gentille en mes bras. D'autres femmes n'ont jamais captivé ma pensée. Comme une sainte image, je garde ta photographie pieusement sur ma poitrine. Il me semble que je suis un peu moins seul. Que sera demain pour moi? On a bien voulu me faire savoir officiellement que j'étais le premier à partir, mais on ne parle pas encore de l'envoi d'un renfort prochain. Il est vrai qu'il y en a toutes les semaines et je serais surpris d'être là encore dimanche. Ma demande d'officier est déposée au bureau, mais ici les sergents-majors songent d'abord à eux. Je voudrais aller en Lorraine. Nous nous sentirions plus rapprochés l'un de l'autre, et les risques ne sont pas plus grands qu'ailleurs. C'est toujours le même travail et puis, j'ai bon espoir, plus que jamais, en mon retour au pays. Ce jour là, puisse-t-il bientôt venir. Nous nous aimerons plus qu'hier encore. Je sais d'ailleurs retrouver en ton coeur l'affection qui, pour moi, est un puissant réconfort aux moments d'angoisse. Prends donc courage, ma bonne Irène, supporte bravement mon absence. Ecris-moi souvent. Nous nous reverrons peut-être plus tôt que nous ne l'espérons l'un et l'autre. En attendant, je t'embrasse avec toute la tendresse et l'affection que j'ai toujours eues, que j'aurai toujours pour toi. Ton Gaston. Bons baisers à mes petits Jean et Simonne.

 

Sans date :

Lorsque tu reposes

Auprès de mon coeur

Les lys et les roses

N'ont plus de senteur.

Ton bras que je touche

Au lys est pareil ;

Des roses ta bouche

A l'éclat vermeil.

Quand tu fais entendre

Auprès de mon coeur

Ta voix douce et tendre,

Ton rire moqueur,

Tu mets tout en fête

Le joyeux pinson

Comme le poête

Dit mieux sa chanson.

Quand tu n'es pas mignonne

Auprès de mon coeur,

Tout est monotone

Vide et sans couleur

Le soleil se brouille,

Le pinson bredouille

Et mon coeur aussi.

 

Castelnaudary, 25 mai 1915

Ma bien chère Irène

Je commence à renaître dans mon élément et à me faire à ma nouvelle vie. Me voici revenu à mes premières années de caserne, familier aux sonneries diverses des clairons, aux appels des adjudants de semaine, aux cris dans les chambrées. Il semble maintenant que je me retrouve dans ma bonne caserne de Merbron (?) et dans la petite ville de Mézières, témoin de nos premières ou plutôt de nos secondes amours. Aujourd'hui, la compagnie a subi un profond remaniement ; nous avons reçu tous les anciens de la classe 15. Je reste avec mes chers petits bleus de la 28° qui m'aiment bien, tu peux le croire, et qui voudraient tous partir avec moi. On annonce, en effet, un départ pour le 346°, dont je serai sans doute. Je te confirmerai la nouvelle quand le sergent-major sera revenu de la salle des rapports. Me voici avec 4 sergents sous mes ordres, dont un vieux briscard de 42 ans, territorial de Marseille. Les autres sont parisiens. Ils sont contents eux aussi et se déchargent sur moi de la besogne et du commandement. Actuellement pour eux, c'est la sieste en attendant l'exercice. Demain reprennent les marches d'entraînement. Les pieds commencent à se piquer par la sueur. Quand je serai parti, il faudra m'envoyer souvent une paire de chaussettes et de la poudre de talc ; d'ailleurs je te ferai mes recommandations en temps utile. J'ai écrit à M. "W" et je lui ai cassé le morceau ; l'Eclair ne se doute pas que son personnel peut être dans la gêne. J'apprends la mort de M. "C1". Je perds en lui un protecteur dévoué. Ma chère Irène, je t'embrasse de tout mon coeur. Ton Gaston.

 

Laroche[29], Mardi 1er juin, 10 heures

Ma bien chère Irène

Je profite d'un arrêt bien inattendu à Laroche (Yonne) pour t'écrire un peu plus longuement. Voici les trois quarts de la France traversés en omnibus. À part la fatigue et la longueur du voyage, le trajet est agréable. La vallée du Rhône magnifique avec ses vignes, ses champs, ses vergers, les cerisiers courbés jusqu'au sol, puis après Lyon où nous avons arrêté cinq minutes, la vallée de la Saône aussi fertile, la Bourgogne et ses crus, Chambertin, St Georges, Vougeot, L'Hermitage, puis l'Yonne. Alors que nous croyions gagner Paris sans arrêt prolongé, on nous a arrêté à Laroche, gare importante du P.L.M., gare de triage et de rassemblement, à cinq heures du matin. Nous faisons le café et la soupe, et nous ne repartons qu'à midi pour le Bourget puis Arras où nous n'arriverons que demain matin. Visite obligatoire du pays, tout neuf, semblable à la grande banlieue parisienne. Ce ne sont que de petites villas entourées de roseraies magnifiques, et louées aux ingénieurs et employés de la gare. Les trains amenant des troupes de toutes armes, Sénégalais ou Hindous, se succèdent. On forme un groupage pour nous cet après-midi avec des détachements d'autres régiments ; beaucoup d'artillerie également. Tout cela gagne le Pas-de-Calais.

En passant cette nuit à Dijon, je me suis rappelé mon dernier voyage à Nancy, et volontiers j'aurais obliqué à droite. Ma bien chère Irène, je m'en vais en toute tranquillité retrouver mes camarades du 146° et, comme eux, faire mon possible pour travailler à la cause commune. Je pars avec la plus grande confiance et la plus grande sûreté de moi-même : bientôt nous serons l'un à l'autre, car l'effort final est proche, et nous nous aimerons tant et tant que nous oublierons vite les longs mois de séparation. Aussitôt affecté, je t'enverrai mon adresse. Ne m'écris pas avant et ne m'adresse qu'un mandat-carte de 15f. J'espère, ma chère petite, que tu es en bonne santé ainsi que les enfants et que tu supporteras avec courage notre séparation provisoire. Je t'embrasse de tout mon coeur. Ton Gaston.

Nos petits bleus sont enthousiasmés. Plus de 500 hommes du 160° viennent de se joindre à nous. Nous ne formons qu'un seul train.

 

Mercredi 2 juin

10 heures matin.

Ma bien chère Irène

Un mot griffonné comme je puis, en chemin de fer. Nous n'avons pas quitté nos wagons depuis Laroche. Arrivés en pleine nuit dans la gare de triage du Bourget, nous y sommes demeurés deux heures et maintenant en route pour le Nord. Le paysage change et puis nous entrons dans la zone des armées. À 8 heures nous étions à Montdidier, maintenant nous approchons d'Amiens. Tout va bien. Les bleus sont contents des acclamations qu'ils ont suscité hier, dans la banlieue parisienne. Aujourd'hui ils sont un peu plus calmes. Fatigués de chanter. Ma chère Irène, je t'embrasse de tout mon coeur.

G. Ducloux, Sergent au 146° Régt. d'Inf., Détachement de renfort.

 

St Pol - 2 juin

Cinq heures du soir.

Ma bien chère Irène

Notre voyage se poursuit agréablement dans le merveilleux panorama de la Picardie et de l'Artois. Jamais la nature ne s'est parée aussi richement. Partout c'est la vie ; mais à 20 kilomètres parle la grande voix du canon. Nos bleus s'amusent aux convois de prisonniers encadrés de hussards et que nous croisons sur les grandes routes. Notre premier contact vient de se faire avec les camarades de la région. À bientôt. Reçois ma chère Irène les bons baisers de ton Gaston.

G. Ducloux, Sergent au 146° Regt. d'Inf., Détachement de renfort.

 

Vendredi 4 juin 1915

Ma bien chère Irène

Me voici parvenu au terme de mon long voyage. Il ne m'a pas été possible de t'écrire plus tôt. Mercredi à 9 h 1/2 du soir, nous quittions le train qui nous avait amenés de Castelnaudary, et l'on nous annonçait que nous allions cantonner au village. Mais il nous fallait faire cinq kilomètres et nous arrivâmes dans une vaste prairie servant de parc d'artillerie. Ce fut notre première étape. Bien vite, les petites tentes furent montées, en pleine pâture, et nous nous endormîmes d'un sommeil de plomb tandis qu'à dix kilomètres de là, chantait la grosse voix du canon. Je me figurais être à Moncel, tandis que notre artillerie bombardait Château-Salins. À 3 h 1/2 nous étions levés, le froid très vif avait abrégé notre sommeil. Dans le ciel rosé, nos escadrilles d'avions commençaient leur randonnée. On nous apprit alors que nous allions rejoindre notre régiment au repos avec le 20° corps, à 20 kilomètres en arrière. Marche assez pénible sous le soleil brûlant ; nous étions chargés comme de petits mulets. On arriva à une heure dans un coquet petit village où nous fûmes accueillis par nos anciens camarades, devenus de vieux briscards, et pour qui la campagne est pleine de souvenirs. J'ai rencontré un lieutenant, M. Bonnard, que j'avais connu à Villemoustaussou et qui me fit affecter à sa compagnie comme chef de section. Coucher hâtif, car nous étions tous bien fatigués. Ce matin, réveil à 4 heures et départ à l'exercice de bataillon à cinq heures, car ..........illisible...... grandes étapes prochaines, quand bientôt nous foncerons sur les allemands pour les refouler, d'abord aux confins de la Belgique. Ma bien chère Irène, confiance et espoir. Vos bonnes prières me protégeront et votre souvenir sera mon réconfort. Je me promets bien de t'écrire chaque jour, ne fut-ce qu'une carte, mais ne t'inquiète pas si tu restes plusieurs jours sans nouvelles, car la correspondance n'est pas toujours facile à expédier et le service des postes peut être irrégulier. Ma chérie, je t'embrasse de tout mon coeur avec Jean et Simonne. Reçois les bons baisers de ton Gaston qui t'aime bien.

Gaston Ducloux, Sergent au 146°, 4° compagnie, Secteur Postal 125.

 

Vendredi 4 juin 1915 (carte)

Ma bien chère Irène

Je m'empresse de t'envoyer aujourd'hui mon adresse. Affecté hier à mon arrivée au 146°, je compte à l'effectif de la 4°. Gaston Ducloux au 146° Régt. d'Inf. 4° Compagnie, Secteur postal 125. J'attends bientôt de tes nouvelles au petit village où nous nous reposons. Ma santé est excellente. J'ai retrouvé ici une bonne partie de mes camarades de la 9°, toujours courageux à leur poste. Reçois ma chère Irène, pour toi Jean et Simonne mes meilleurs baisers. Ton Gaston.

 

Dimanche 6 juin 1915 (selon le système codé de Gaston, cela donne : "Ivergniprèsde neuvillearras[30] [?] nous sommes au repos")

6 heures soir

J'avais espéré pouvoir disposer de mon dimanche pour mettre à jour ma correspondance, mais nos dernières heures de liberté et de calme relatif sont employées à des revues et à des exercices d'assouplissement du bataillon. Il nous faut fondre nos dernières recrues avec les anciennes et préparer nos légions pour les randonnées futures. Le canon tonne avec fracas. Cela nous réjouit l'âme. La bonne besogne accomplie par nos camarades s'achève dans de bonnes conditions. L'organisation est merveilleuse et les chances de victoire se multiplient. Les convois de prisonniers encadrés par nos brillants hussards de Nancy se succèdent. Ils sont à bout de souffle.

Soleil plus chaud que celui du Midi, mais... soif terrible, et le vin à 18 sous.

Chaque jour je découvre d'anciens camarades, des bleus que j'ai dressés depuis cinq mois et qui font honneur au sergent qui les a dressés, auquel d'ailleurs ils témoignent leur reconnaissance. Braves et sans peur. Encore quarante huit heures et ce sera notre tour de remplacer nos amis fatigués par une lutte incessante. J'ai confiance toujours. Sois sans crainte pour moi, car je saurai faire comme toujours mon devoir. Tu n'auras pas à rougir si je tombe et tu ne recevras pas, comme certaines, mes menus objets avec cette mention : "Mort en lâche le....",  avec 12 balles françaises dans la peau.

Lancés en campagne, nos besoins demeurent les mêmes quoique un peu limités. Je te demanderai de m'envoyer chaque semaine une paire de chaussettes de coton; avec une boite de cigarettes Maryland à 0f. 65 ; mes favorites les Levant sont trop chères : 0, 80. Dans ton premier envoi, tu ajouteras une petite boite en fer de vaseline, remplie de pommade mercurielle pour parer et détruire dans leurs oeufs les tontons, comme les appellent les poilus. Ce sont nos camarades les plus attachés à notre personne ; je n'en compte pas il est vrai pour le moment, mais certains camarades connaissent le prix de leur amitié. On fait de l'élevage et du croisement, français et boches. Ajoute aussi un petit peigne ou déméloir.

Ma bien chère Irène, je t'embrasse bien de tout mon coeur avec nos petits Jean et Simone. Ton Gaston. Mes bonnes amitiés et souvenir à M. Me "C", Mme "D".

Un petit crayon à encre s.v.p. Joindre à chacune de tes lettres une feuille et une enveloppe.

 

Mardi 8 juin 1915

Ma bien chère Irène

À ce jour, je n'ai pas encore de nouvelles de toi ; sans doute que mon adresse ne t'est pas encore parvenue, pas plus qu'au vaguemestre de la 32°. Je ne m'inquiète pas cependant, sachant que je ne puis en aucune façon t'incriminer. Nous sommes toujours à l'arrière, ce qui ne signifie pas au repos, car depuis quatre heures du matin nous pivotons dans les bois comme aux plus beaux jours de l'active. Il fait une chaleur terrible et une ...soif intolérable. Et le vin est si cher, 18 et 20 sous ; pas de bière ; aussi le mess des sous/off. fait-il entendre un concert de récriminations à l'adresse des bistros. Toutes les denrées alimentaires sont au même prix : beurre, oeufs, salades, légumes. Le ravitaillement n'est pas facile, cela se conçoit. Combien de temps allons-nous demeurer ici. Nul ne le sait ; nous pouvons partir du jour au lendemain pour regagner le secteur brillamment défendu par nos anciens, comme nous pouvons rester huit jours. Tous nos petits bleus brûlent d'aller faire connaissance avec les Boches, enthousiasmés qu'ils sont par les récits des rescapés. J'ai dû te dire que j'étais proposé une troisième fois comme s/lieutenant. J'attends toujours, par modestie, ne cherchant en aucune façon me mettre en avant. Mes poilus, venus de tous les coins de France pour renforcer le 146°, commencent à se plier à la discipline et à faire ce qu'on leur demande. Avec eux nous ferons du bon travail, à Dieu plaise. Les lorrains, hélas, sont bien peu nombreux maintenant, après neuf mois de campagne, à part officiers et sous officiers ; beaucoup ont été évacués après blessure ou maladie. Si je puis ce soir faire un effort pour écrire à M. Mme "C", je le ferai, car ils doivent bien m'en vouloir et, cependant, ce n'est pas de la mauvaise volonté. J'attends toujours des réponses de l'Eclair. Dans mes moments de loisir aux tranchées, je tâcherai aussi de leur faire parvenir quelque article. Peut-être en tirerons-nous un avantage matériel. Ma bien chère Irène, reçois de ton Gaston ses meilleurs baisers. Embrasse bien aussi notre petit Jean et Simone qui, j'espère, sont bien sages.

G. Ducloux

P.S. : Comme les journaux ne nous parviennent qu'irrégulièrement, coupe dans l'Eclair les communiqués officiels, de la même façon que celui que je te joins.

 

Vendredi 11 juin 1915

Ma bien chère Irène

Voici le vaguemestre qui vient de passer dans le village que nous occupons. Ce n'est pas encore aujourd'hui que j'aurai le plaisir de lire tes bonnes nouvelles. C'est tapi au fond d'une cave bien bétonnée, reprise aux Boches non sans mal comme celles de tout le pays, par les anciens du 146, du 10 au 24 mai, que je te griffonne ces quelques mots sur un papier bien sali, mais à la guerre comme à la guerre. C'est le cas de le dire. Au dessus de nos têtes se poursuit un inlassable duel d'artillerie. Nos 75 et nos Rimailho (?) mènent un beau concert. Ce que les Boches doivent déguster! Quant à nous, nous sommes tranquilles, car on est accoutumé à ce tapage infernal. C'est cent mille fois le bombardement de Nancy. Encore quelques jours, et nous irons au repos vingt cinq kilomètres en arrière. Naturellement, ma santé est excellente. On se fait à l'ordinaire de sardines, de bifsteacks et de riz. Tu voudras bien m'envoyer par la poste six tubes de chocolat instantané à 2 sous, pour les jours où je désirerai me confectionner quelque chose de chaud. À bientôt ma chère petite de tes bonnes nouvelles. Confiance toujours, et reçois les bons baisers de ton Gaston, pour toi , Jean et Simonne.

Gaston Ducloux.

 

Dimanche, 13 juin 1915

6 heures soir

Ma bien chère Irène

Je reçois à l'instant ta première lettre datée du 9 juin. Tu vois, le courrier ne mettra que 4 jours, tant mieux pour tous. Quant à mon courrier de Castelnaudary, je n'ai encore rien reçu ; ce n'est pas étonnant, car le travail de vaguemestre se fait difficilement. J'espère cependant recevoir ces lettres recommandées ; je te dirai d'où vient celle de Châlons ; n'a-t-on pas voulu te la remettre? D'argent, pour le moment, on n'en a pas besoin, sauf quand on va au repos, tous les 20 ou 30 jours, pour se remettre un peu des privations et faire un peu de provisions de tranchées. On ne fait qu'un repas, et à une heure du matin. Envoie-moi ce que je t'ai demandé dans mes dernières lettres, de l'alcool de menthe comme tu me le proposes, car tes prévisions sont bien justes. Nous avons touché des masques. Merci de ta bonne intention. Ma bien chère Reine, je t'embrasse de tout coeur. Gaston Ducloux.

 

Dimanche, 13 juin 1915

7 heures soir

Je complète ma carte de 6 heures. J'ai prié mon ami "O", toujours à Villemoustaussou, de t'envoyer le colis que je t'avais préparé avant mon départ. Je vais le lui rappeler ce soir par une carte. Je te remercie, et de ta fleur, et de ta prière. Je possède encore une petite broche ; je te la ferai parvenir quand nous retournerons à l'arrière. Tu feras tirer une petite photo toi même si tu le peux, et tu la découperas. À bientôt ma chère Irène. Reçois les meilleurs baisers de ton Gaston.

G. Ducloux, Sergent, 146° Rgt. d'Inf., 4° Cie, S.P. 125.

 

Des tranchées, le 14 juin 1915

Ma bien chère Irène

Me voici revenu moi aussi à l'âge des cavernes. Comme nos ancêtres, je me fais à la vie souterraine et j'ai déjà acquis une certaine habileté à la confection de mes passagères demeures. La nuit dernière, après avoir poussé nos sapes vers les lignes ennemies, nous sommes revenus deux kilomètres en arrière, nous reposer dans les longs boyaux qui donnent accès au village dont nous tenons la lisière nord. Ces boyaux ont été fabriqués par les Boches qui les ont baptisés : Canal de Suez, Canal de l'Oder etc.. Tu peux bien croire que ces boyaux sont repérés et que les Fritz nous arrosent de leurs marmites. Aussi au petit jour, avec mes deux chefs de demi-section, nous construisîmes-nous une superbe guitoune à flanc de boyau. Les charpentes des maisons démolies nous fournirent d'excellents étais et de solides chevrons. Des sacs remplis de terre servirent à la couverture, si bien que maintenant nous ne craignons plus les schrappnels. Un gros noir pourrait, il est vrai, venir nous déranger, mais il y a tant d'espace autour de nous que nous sommes tranquilles. Je viens donc de dormir de 8 heures à midi. Mon sommeil a bien été troublé par quelques détonations un peu fortes mais c'est un léger détail. Avant de savoir quelles seront nos occupations précises de cet après-midi, je te griffonne quelques mots. Chaque fois que je pourrai t'écrire et faire parvenir mes lettres au vaguemestre à l'arrière, je le ferai, mais il ne faudra pas t'inquiéter si parfois tu restes quelques jours, voire même une semaine ou deux sans nouvelles, car si l'action devient plus chaude, les relations postales seront plus difficiles et les moments de tranquillité moins nombreux. Je compte donc sur ton calme et sur ta patience. Ce soir, peut-être aurai-je le plaisir et le bonheur de recevoir une lettre de toi. J'y répondrai aussitôt que faire se pourra.

 

15 juin,

16 heures

Ma bien chère Irène,

Je m'apprêtais, cet instant, à t'écrire quand mon planton me remet une lettre de toi, lettre datée du 10. J'ai été surpris à la lecture de la page de Jean. C'est très bien, et mes compliments comme à Simonne. Oui, mes petits bleus sont avec moi pour la plupart, et tous très braves et très courageux. Ici, comme à Nancy, il fait très chaud et très soif. Je regrette la Greff, ou la Champigneulles dans mon grand verre. Bientôt, espérons-le, je rattraperai les bouteilles perdues. Aucun incident digne d'être noté. Inutile de parler de mousqueterie et de canonnade ; c'est chaque jour et chaque nuit une musique à laquelle on ne prête plus l'oreille. J'ai reçu, et je crois te l'avoir dit hier, une carte de Mme "D" ; mais de Castelnaudary, rien encore. Je n'ai plus qu'à réclamer, et dès ce soir. Quant à "K", ça m'indiffère. Il pourra peut-être y trouver un cheveu. En tout cas, s'il est sorti de l'infirmerie, son tour de départ approche. Ma chère Irène, à bientôt et bons baisers de ton Gaston.

Gaston Ducloux, Sergent, 146° Rgt. d'Inf., 4° Cie, S.P. 125.

 

Jeudi 16 juin

Ma bien chère Irène

Nous sommes arrivés la nuit dernière à destination après une marche des plus mouvementées par les longs boyaux qui jalonnent notre secteur. Immédiatement nous avons pris possession de nos souterraines demeures. Cette fois nous voici dans l'action. Derrière nous, sans discontinuer, nos canons chantent leur chanson à laquelle on s'est vite réhabitué. Il est 16 heures ; c'est de ma cagna que je te griffonne cette carte. Je ne sais si j'aurai le bonheur de voir ce soir le vaguemestre pour la lui remettre. Ma chère Irène, bon courage et espoir. À toi mes bons baisers.

Ton Gaston.

G. Ducloux, Sergent, 146° Régt. I., 4° compagnie, Secteur postal n° 125.

 

17 juin 1915

Ma bien chère Irène

Cette fois, le vaguemestre m'apporte aux retours des tranchées tout mon courrier de retour de Castelnaudary. J'ai donc 2 lettres de toi, 1 de Mme "C", de M."B" et des journaux. M. "B"  se plaint de l'état de santé précaire de sa femme et de ses enfants. Ici, toujours la même chanson, celle du canon. Je t'écrirai demain plus longuement si j'en ai la possibilité. Ma bien chère Irène, reçois de ton Gaston ses meilleurs baisers.

G. Ducloux, Sergent, 146° Rgt. d'Inf., 4° Cie, S.P. 125.

 

Date ?

(début de lettre manquante)

... Il faudrait que les autos viennent nous prendre et nous emmènent à 25 kilom. d'ici, mais ce séjour-repos n'est accordé qu'après de longues semaines de travail. Ton paquet sera le bienvenu ; je ne le toucherai que ce soir. Il ne faut pas que tu te prives pour moi et que je t'occasionne des dépenses. Envoie-moi si tu le veux bien, tous les dix jours, un colis renfermant une demi-livre de chocolat, une boite de cigarettes et allumettes, une douzaine de cartes postales militaires ; de l'alcool de menthe seulement quand je te le dirai. Au fait, tu as raison, une petite bouteille d'alcool par paquet, chaque 10 jours.

Et maintenant que je te remercie de tes bonnes et affectueuses paroles qui, pour moi, sont d'un précieux réconfort en cette période d'effort et physique et moral. Crois bien que ta pensée et celle de Jean et Simone ne me quitte pas un seul instant. C'est à vous trois, mes très chers, que je songe continuellement, espérant bientôt vous être rendu après le grand effort qui est proche. J'ai la plus grande confiance en tes prières que je partage. Elles seront exaucées. Communier, ce serait difficile ; me confesser à l'aumônier à son premier passage dans le cantonnement ou sur le champ de bataille, cela je te le promets, je le ferai. Chrétien et français jusqu'au bout! Je porte à mon cou le collier et les médailles de Jean ; épinglés à ma capote, mes scapulaires. La Ste Vierge me gardera comme elle l'a fait ces jours derniers, en écartant de moi tous les dangers.

Avant de clore ma lettre, et devançant l'heure ou plutôt la date légale, je te prie ma chère Irène d'agréer mes meilleurs voeux et souhaits pour ta fête. Je ne puis cette année que t'offrir, simplement, et mon coeur et mon affection que toujours je t'ai gardés aussi grands qu'à nos vingt ans, à l'heureuse époque de nos amours. Ma bien aimée, je t'embrasse de tout mon coeur toi et mes enfants.

Ton Gaston pour la vie.

 

Au front, le 23 juin 1915

Ma bien chère Irène

Avec ta dernière lettre, je reçois ton paquet par la poste. Tu es vraiment trop bonne. Actuellement, il ne me manque rien. Des chaussettes, j'en ai quatre paires neuves, 2 de laine, 2 de coton. Comme nous n'avons pas le loisir de les laver, elles me durent trois semaines. Donc, d'ici quinze jours, ne m'envoie rien. Des vivres, c'est inutile ; nous en avons plus qu'il nous en faut ; l'alcool de menthe me suffira pendant 3 semaines, ma bouteille du départ est à moitié. Il ne faut pas en abuser car cela fait mal à l'estomac. Voici trois jours que nous sommes à l'arrière. Demain, il est probable, nous repartirons. Changerons-nous de secteur? Je l'ignore. Peut-être cependant varierons-nous? Ce serait préférable. Nos officiers ont disparu dans la tourmente. Il nous arrive des maréchaux de cavalerie à leur place. Ma proposition court-elle? On ne sait, car mon commandant de compagnie a été évacué, blessé. Mais je préfère l'oubli à toute chose. Point n'est besoin d'intriguer. Mieux vaut maintenant la médiocrité. Au front, situation stationnaire, d'après les communiqués. Quand reviendrons-nous en Lorraine? Tous le désirent. J'apprends par des camarades du dépôt que "K" et 14 sergents viennent de partir au 346°. J'aurais aimé être à leur place. Ma chère Irène, je te renouvelle aujourd'hui mes voeux de bonne fête. De tout mon coeur, je t'embrasse ainsi que mon petit Jean et Simonne.

Ton Gaston.

 

Au front, le 25 juin 15

Ma chère petite Irène

J'ai le plaisir de t'adresser encore aujourd'hui de l'arrière mes meilleures pensées. Allons-nous changer de secteur? Nous sommes, quoique au repos, toujours sur le qui-vive et les autos peuvent nous emmener d'un moment à l'autre. Nous sommes prêts et nous ne participerons pas à d'actions plus dures que celles auxquelles nous avons assisté ces jours derniers. Tu vois, on s'en tire ; il suffit d'être courageux et prudent à la fois. Avec la protection divine, nous surmonterons tous les obstacles.

Mais si nous sommes à l'arrière, il ne s'en suit pas que nous sommes au repos : exercice, manoeuvre, marche, chaque jour théorie des officiers. La journée est bien remplie et les instants de liberté sont comptés. On ne laisse personne inactif et c'est tant mieux.

Hier soir, j'ai reçu un petit paquet de Mme "C", malheureusement la poste me l'a gâché. Il devait voisiner avec un colis renfermant de l'huile de camphre et qui s'est répandue. Les biscuits étaient immangeables. Je le regrette bien. Seule la chartreuse était intacte et je ne l'ai pas laissée vieillir. Enfin tu remercieras Mme "C" avant que je ne puisse le faire moi-même. Ma chère petite, ma santé est excellente, le sommeil et l'appétit sont revenus comme aux premiers jours. Vivons toujours dans l'espoir de nous trouver réunis et à une date bien proche. Je t'embrasse de tout mon coeur ainsi que Jean et Simonne.

Ton Gaston.

 

Au front, le 26 juin 15

Ma bien chère Irène

Je suis heureux de pouvoir t'écrire aujourd'hui encore tout à mon aise, à l'abri dans une bonne grange et sur une épaisse couche de paille. Tu le vois, la semaine s'est achevée sans incident, à remanier les compagnies, à prendre tous les éléments qui viennent d'un peu partout, pour la plupart réformés rappelés. La tâche est un peu dure et il faut user beaucoup de salive et montrer une grande indulgence.

Ma proposition de sous-lieutenant court toujours. Il se pourrait qu'auparavant je récolte le grade intermédiaire, soit adjudant. Ce sont 400f. qui tomberont dans ma poche et si, par la suite, je deviens officier, ce sera le double. Les risques, je te l'assure, ne seront pas plus grands, au contraire ; tout le monde est aussi exposé ; il suffit d'être prudent.

Je voudrais te savoir, ma petite Reine, en pleine tranquillité d'esprit, et complètement rassurée sur mon sort. Ne te crée aucun souci imaginaire ; aie la plus grande confiance dans l'avenir, et tu verras, tout ira bien.

Ici tout redevient calme ; le canon se tait, ou sa voix devient moins impérieuse. On souffre de part et d'autre. Un gros orage est venu nous rafraichir hier et abattre toute la poussière. Ce n'était pas dommage.

Ma chère Irène, embrasse Jean et Simonne et reçois pour toi mes bons baisers.

Ton Gaston.

 

Villers sir Simon[31], P.d.C., 27 juin 15

Ma bien chère Irène

Voici le deuxième dimanche que nous passons au repos, mais ce soir nous embarquons. Dans une heure, les automobiles nous emporteront dans une direction inconnue. Nous changeons de secteur, plus au nord, cette fois pour tenir des positions et non plus attaquer. C'est mille fois moins dangereux ; tu peux donc te rassurer.

D'ailleurs chaque jour je t'écrirai, ne fut-ce qu'une carte, mais il se pourrait que ma correspondance mette huit jours à te parvenir, car il a été annoncé officiellement que l'on faisait vieillir les lettres avant de les envoyer du front.

Cette lettre d'ailleurs te parviendra par la poste car j'ai demandé à un fermier de me la recommander. Je te renvoie 25f. ; j'en ai encore 20 ; inutile d'en avoir davantage. Ici on gagne de l'argent quand on est aux tranchées : 17f 50 tous les dix jours. C'est dans trois jours le prêt, et comme on ne vient pas toujours au repos, on fait des économies. Je préfère par la suite te demander de l'argent, si j'en ai besoin.

J'ai reçu ce matin ta lettre du 22 juin ; aujourd'hui tu es complètement rassurée à mon sujet. Tu as bien fait de payer l'assurance. Quant à M. "A", je crois en effet qu'il ne voit pas très clair, mais tu n'as qu'à lui dire franchement, si tu le rencontres : "Bonjour, Monsieur "A".

L'insigne du Sacré-Coeur est fort répandu ici ; on en avait distribué à notre passage à la gare de Lyon, mais je n'avais pu en obtenir. Je le conserverai donc précieusement, épinglé à ma capote. Le Sacré-Coeur me sauvera et me protègera toujours. Embrasse bien mon petit Jean et ma petite Simone pour moi. Ma chère Irène, reçois les bons baisers de ton Gaston.

G. Ducloux, sergent au 146°, 4° Cie, SP 125.


 

      L'ÉCLAIR DE L'EST                                                             Nancy, le 27 VI 1915

Journal Quotidien, Républicain, Indépendant                                                                                    Téléphone 8.27

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Le Petit Lorrain * Le Pays de Toul

                HEBDOMADAIRES

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    8, Place Carnot, 8 - NANCY

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                   DIRECTION

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Cher Monsieur Ducloux

Voilà bien longtemps que je vous laisse sans un mot. Je suis tellement pris que ma correspondance est excessivement négligée et espacée.

J'ai reçu de vous ces derniers temps votre avis de départ de Carcassonne, différents envois documentaires dont je vous remercie, et enfin votre carte postale de Mont-Saint-Eloi[32]. Vous voilà donc de nouveau dans la fournaise, et nous savons trop qu'avec notre 20° corps, ce n'est pas pour rire. Il ne reste pas dans les tranchées, lui, quand on lui commande d'aller en avant. Avez-vous retrouvé dans votre régiment quelques connaissances du début? De ceux qui ont tout vu, qui n'ont pas écopé depuis le 1er août? Et de ceux qui, comme vous, ont dû rester à l'arrière plus ou moins longtemps? Je crains fort que vous ne vous soyez retrouvé dans un régiment tout neuf duquel avaient disparu tous les anciens.

On peut dire que voici maintenant onze mois passés que dure cette terrible guerre, et on ne sait pas encore quand elle prendra fin. D'après certains renseignements d'assez bonne source, on pourrait cependant espérer qu'elle se termine plus tôt que ne semblent l'indiquer les circonstances actuelles. Du moins, c'est la persuasion qu'on a en haut lieu ; mais je ne sais sur quoi elle se fonde. Je ne la discute donc pas ; je vous la présente comme un article de foi. Je peux affirmer que dans les hautes sphères militaires, on professe cette opinion ; de cela je suis sûr, mais je ne suis sûr que de cela.

Ici, je suis toujours seul avec Kalck ; nous faisons le journal nous deux ; c'est un peu astreignant, mais nous ne nous plaignons pas. Il y en a d'autres, comme vous, qui en font bien plus et qui se plaignent encore moins. Malheureusement, la vente baisse de jour en jour ; les gens sont fatigués d'acheter les journaux qui se répètent sans cesse, n'apportent rien d'intéressant. En outre, on sent de plus en plus la nécessité de faire des économies ; et si les ressources des acheteurs s'épuisent, celles du journal en font autant. Pour moi, c'est actuellement le plus inquiétant et le plus dur, car je suis forcé, en attendant la délivrance de Lille - et dans quel état, - d'aller quêter des emprunts chez les amis du journal pour assurer son existence dans les mois qui viennent. Espérons que Dieu nous aidera à doubler ce cap, actuellement des Tempêtes, pour devenir peut-être celui de Bonne-Espérance. Ceci bien entendu entre nous.

Bonne chance, grande victoire et tous les succès personnels pour vous, voilà ce que mon coeur vous souhaite en vous exprimant toute sa bonne amitié. Paul Sordoillet.

 

Au front, 28 juin 1915

Ma bien chère Irène

C'est d'un vrai labyrinthe que je t'écris, au milieu d'un dédale de boyaux compliqués. Hier dimanche, comme je te l'ai dit, nous embarquâmes à 5h du soir. Deux heures de voyage et nous nous trouvions au même endroit qu'il y a un mois ; seulement le point de direction fut plus à droite quand, la nuit venue, nous nous engageâmes dans les boyaux. Nous sommes favorisés ; nous tenons les troisièmes lignes ; d'ailleurs ce coin est tranquille, c'est à dire qu'il a été expurgé depuis un mois de la présence des Boches ; maintenant ils restent terrés dans leurs trous et s'amusent la nuit à nous tirer le feu d'artifice. Seulement, nos 75 viennent ajouter le bouquet final. Les heures de sommeil sont donc plutôt troublées. Et maintenant, ce sont des pluies orageuses, après la poussière brûlante des semaines passées. Nous savons heureusement nous protéger avec nos toiles de tente et nos imperméables. Nous ne sommes donc pas trop à plaindre ; dans 3 jours nous irons passer 24 heures au plus prochain village et voici la vie à laquelle je m'essaie de t'intéresser le plus agréablement possible. Certainement le jour viendra, et je le souhaite le plus tôt possible, où, l'allemand repoussé, nous pourrons nous retrouver, tous, heureux, et oublier dans les jours à venir les petites misères des jours passés.

Merci pour tes bonnes pensées, celles des enfants et tes prières. Je vais clore ma lettre, espérant trouver ce soir un moyen de la faire parvenir au vaguemestre, par nos hommes qui iront à la soupe. C'est ce qui fait souvent que nos lettres ont du retard, quand elles ne sont pas encore oubliées. Ma chère Irène, je t'embrasse de tout mon coeur, toi, Jean et Simonne.

Ton Gaston.

 

Des tranchées, le 30 juin 1915

13 heures 1/2

Ma bien chère Irène

Je reçois ce matin ta lettre du 26 juin. Je m'aperçois que la correspondance nous arrive plus vite de l'extérieur que la nôtre à vous parvenir. Il est vrai qu'ici elle subit toutes sortes d'arrêts. On la remet le soir aux hommes-soupes qui la portent aux cuisiniers ; ceux-ci la donnent le lendemain au vaguemestre qui la remet à son tour, le soir ou le lendemain, au service des postes aux armées. Ne t'étonne pas trop du retard de mes lettres par la suite.

Maintenant, tu es bien tranquillisée sur mon sort ; tant mieux car cela me donne plus de sérénité d'esprit et de calme, car il faut en avoir ici.

Notre situation n'a pas changé : nous ne sommes pas à la noce mais notre bonheur est relatif tout de même. Que cela dure, et nous serons contents de notre sort ; surtout, que la pluie ne nous visite qu'à de larges intervalles pour faire tomber la poussière simplement.

J'ai reçu hier une carte de Georges qui est rentré à son dépôt après avoir passé sept jours de permission chez sa tante à Paris. Voici son adresse dans le cas où on pourrait en avoir besoin : Georges Vaucher, sergent au 18° Bataillon de chasseurs, 14° compagnie, Dépôt de Fontenoy-le-Comte (Vendée).

Voici également celle de ma tante : Madame Marie Vaucher, Religieuse du Bon-Pasteur, 30 Faubourg Bourgogne - Orléans.

Notre dépôt à nous aussi se vide. J'ai appris qu'en même temps que "K", étaient partis de nombreux camarades pour le Bois le Prêtre. J'aurais aimé retourner en Lorraine, mais la Providence vous met chacun à sa place. D'ailleurs, c'est partout la même musique et les mêmes aléas. Souhaitons que ce mois de juin qui s'achève, ce mois du Sacré-Coeur de Jésus, marque un terme dans l'épopée que nous vivons.

Je t'envoie quelques fleurs, cueillies sur le champ de bataille, en bordure de notre tranchée. C'est le seul cadeau que je puisse te faire.

Ma chère Irène, je t'embrasse tendrement avec Jean et Simonne.

Ton Gaston.

 

Jeudi, 1° juillet 1915

* Ici un trèfle à 4 feuilles trouvé ici sur le champ de bataille.

Ma bien chère Irène

Ce matin, le vaguemestre m'apporte ta lettre du 27 juin. Mes félicitations aux P.T.T. de Nancy mais pas aux nôtres puisque tu as reçu des lettres du 18, 21 et du 23. Je profite de cette après-midi, la dernière d'un calme relatif, pour t'écrire. Nous quittons la deuxième ligne pour la première et cela pour deux jours, puis nous revenons en arrière deux jours et ensuite au repos. Espérons que nous serons aussi tranquilles que ceux que nous remplacerons. Tout au moins les gros noirs de 305 ne viendront pas troubler notre veille. Je t'écrirai comme je pourrai durant ces quelques jours, car le vaguemestre, toujours prudent, ne monte pas jusqu'à nous. Seuls les hommes de corvée descendent la nuit au village voisin. Le calme et la confiance ne m'abandonnent pas. Tu peux donc partager ces deux sentiments. Comme je te l'ai prié, ne m'envoie un petit colis qu'à la fin de la semaine, sans alcool de menthe. Tu y joindras du papier à lettre, car je suis absolument à court et je suis obligé de déchirer mon carnet. La photo que tu m'as envoyée, je te la retourne montée en broche ; je ne sais cependant si je trouverai un commissionnaire pour la faire recommander dans un bureau de poste de l'arrière. Comme toi, je suis sans nouvelles de grand-père et d'Albert ; celui-ci cependant m'a écrit une carte, il y a 8 jours, m'annonçant qu'il quittait sa place. Jamais il ne retrouvera mieux. Aujourd'hui également je reçois une lettre de "A". Je veux partager son espoir de voir notre campagne bientôt s'achever. Ma bien chère Irène je t'embrasse bien fort, toi, Jean et Simonne. Ton Gaston qui t'aime bien.

 

Au front, le 2 juillet 1915 (sur Carte Postale du" Touring-Club de France", "offerte à nos soldats")

Ma bien chère Irène

Je t'envoie mon petit bonjour quotidien des tranchées où nous sommes tranquilles. Les Boches, nos voisins d'en face, sont relativement calmes dans leurs transports belliqueux. Ils se lassent. On se lasserait à moins, après des dégustations de 75 quotidiennes. Le jour nous dormons tranquillement, mais la nuit tout le monde veille. Les Fritz, chaque soir, nous organisent un feu d'artifice : des vertes, des rouges et des blanches. Cela pour nous faire paraître le temps un peu moins long. Le feu du 14 juillet à Nancy serait cependant préférable à voir. Hélas! Vivement dimanche à minuit, et à moi l'eau, le savon et les brosses, comme le rasoir. Nous ne pouvons faire fantaisie comme Messieurs les Anglais. On le regrette, mais il ne faut pas être à cheval sur les règles de l'hygiène. Ma chère petite Irène à demain, et reçois les bons baisers de ton Gaston qui t'aime bien. Ton Gaston.

 

Au front, 4 juillet

10 h. soir

Ma chère Irène

Un bonsoir à 22 heures au clair de lune, l'arme au pied. On veille sur le Boche et je n'ai pu trouver le temps de t'écrire.

Demain lundi seulement à minuit nous serons relevés. Bons baisers de ton Gaston.

 

Au front, le 5 juillet 15

Ma bien chère Irène

Hier, j'ai pu seulement te jeter sur le papier deux mots avant le départ des hommes de service. Et c'était dimanche! Les Boches ne l'ont guère respecté. Nous avons été tenus en haleine toute la journée et, après 10 heures du soir, ce fut un beau vacarme d'artillerie. Nos 75 rasant nos têtes ont dû faire du saucisson dans tout le réseau des lignes allemandes, de la 1° à la 10°, sur 4 kilomètres de profondeur.

Notre espoir aussi a été déçu. On nous avait annoncé, à notre départ, que nous serions relevés le dimanche à minuit. On prolonge de 24 heures notre séjour dans ce délicieux labyrinthe de dédales et de boyaux complexes. Et cet après-midi, on nous fait entrevoir une seconde prolongation. Nous ne lâcherions nos taupinières pour la prochaine station automobile que mardi à minuit. C'est officiel, à moins un contre-ordre. Nos poilus la trouvent un peu mauvaise, mais en prennent finalement leur parti. Demain nous oublierons nos fatigues, nos privations de toutes sortes à l'arrière où, suivant les gens toujours bien renseignés, nous ferions un séjour assez prolongé. Tant mieux!

On vient de m'apporter ta bonne lettre du 30, dans laquelle tu m'annonces avoir reçu les miennes du 25 et du 26. Je crois que tu es fixée maintenant sur les questions que tu me poses. Je t'ai accusé, chaque fois, réception des colis que tu as eu la gentillesse de me faire parvenir. Le dernier, que tu m'annonces, ne m'a cependant pas encore été remis. Avec les chaussettes que tu me fais parvenir, j'en serai abondamment pourvu, comme d'alcool de menthe. On ne marche pas beaucoup dans la nouvelle guerre ; on n'use pas davantage et on n'a pas le temps de changer ... (la fin manque).

 

Mardi six juillet 1915 (sur Carte réservée à la "Correspondance militaire" avec "Gloire aux Alliés" et le trèfle à 4 feuilles portant 1915 et la mention "Porte-Bonheur")

Des tranchées, 16 heures

Ma bien chère Irène. Merci de ta bonne lettre du 2 juillet que l'on me remet à l'instant. Je te répondrai demain plus longuement, car je suis tout occupé à faire nos préparatifs de départ au nez et à la barbe des Boches. Quand tombera la nuit, on gagnera les boyaux. 5 kilomètres à faire en zig-zag. Où irons-nous? Un peu loin dit-on. Dans une petite ville, en caserne. Je préfèrerais un village. Merci de ce que tu as mis dans le colis que je toucherai sans doute ce soir ; tout est excellent. Nous allons enfin pouvoir nous retaper, nous laver et manger un peu mieux. Puissent les marmites se taire et à bientôt. Je t'embrasse de tout coeur. Gaston.

Il ne faut pas m'envoyer des cartes de ce genre. Elles pourront me servir, il est vrai, pour écrire aux camarades soldats.

 

Lettre de Lucien Laqueue, réfugié à Peillonnex (Haute-Savoie), à sa fille Irène.

(fautes d'orthographe corrigées)

Peillonnex, le 8 juillet 1915

Je réponds à la lettre que j'ai reçue aujourd'hui. Tu me dis que tu n'as pas de nouvelles de Gaston, mais prends un peu patience. Du jour au lendemain tu peux bien en recevoir, car ils ne font quelquefois pas comme ils voudraient ; le service avant tout. Tu me demandes aussi pourquoi j'ai été aussi longtemps pour répondre à ta lettre ; en voici la cause : j'ai été malade déjà deux fois, et puis nous sommes en train de faire la fenaison. Je suis obligé de me lever à quatre heures du matin pour aller faucher et puis aller faner après la rosée tombée. Je vais coucher quelquefois à dix heures du soir. Tu dois bien penser que je suis fatigué. Il y a des jours que je ne ferme pas l'oeil de la nuit. J'ai encore bien trente lettres à répondre, que je n'ai pu arriver à écrire.

Quant à ta soeur, elle m'a écrit voici trois semaines. Ils sont replacés dans une usine à gaz à cent quinze francs par mois.

Je t'envoie 5f. que tu feras parvenir à Gaston pour qu'il puisse boire un coup à ma santé. Rien d'autre pour le moment que d'attendre la fin de cette maudite guerre et puis retourner dans notre pays le plus tôt possible, que je ne voie plus ces montagnes à pic, où on voit encore la neige sur le Mont-blanc comme en plein hiver.

Ton père qui pense à vous tous.

L. Laqueue.

 

14 juillet 1915

Ma bien chère Irène

Voici deux jours que nous nous balladons sur les routes, sans pouvoir trouver un moment pour t'écrire. Maintenant, je fais ma correspondance, ma musette sur les genoux, en attendant l'embarquement en chemin de fer. Nous avons quitté hier notre séjour à midi ; des automobiles nous ont emmenés en arrière, au Sud-Ouest de la ligne de feu. On nous avait promis monts et merveilles comme je te l'ai dit, la mer, le casino, le théâtre : finalement, on nous a amenés dans un petit village perdu à 30 kilomètres de la Grande Bleue. Mais voici que ce matin, alors qu'on s'installait pour passer de son mieux les fêtes du 14 juillet, un ordre arrive. Embarquement en chemin de fer de tout le corps. On touche les vivres pour 48 heures. Et maintenant nous attendons dans une vaste prairie non loin de la gare. Où allons-nous? Silence! On nous garde le secret. Peut-être allons nous rapprocher de toi et revoir le théâtre de nos premiers exploits. En tout cas, nous quittons le secteur, et je préfèrerais la Lorraine à la Champagne ou à la Meuse.

On vient de me remettre ta dernière lettre avec le paquet annoncé dans la précédente ; tous deux m'ont fait bien plaisir, surtout chocolat et rhum. En même temps, lettre de Me "C", m'annonçant son départ pour Vittel.

Nous embarquons. Il pleut. À bientôt. Je t'embrasse de tout coeur. Ton Gaston.

Mention rajoutée à la hâte, en post-scriptum : Amiens! vers Paris!

 

15 juillet, (sur "Carte en Franchise" de "Correspondance des Armées de la République")

17 heures

Ma bien chère Irène

Je jette cette carte au passage à Neufchâteau, et je t'envoie, avec mes bonnes pensées, mon affectueux souvenir. Ton Gaston.

À bientôt une plus longue lettre. Les permissions sont pour les anciens, c'est à dire les non-évacués depuis le début de la campagne. Peut-être cependant aurai-je le plaisir de venir vous surprendre. Je ferai mon possible. Quelle joie alors de nous retrouver. Gaston.

G. Ducloux, Sergent, 146° R.I., 4° Cie, SP 125.

 

Lunéville, 18 juillet 1915

Ma bien chère Irène

Je voudrais avoir une bonne nouvelle à t'annoncer, mon arrivée à Nancy. Hélas, ce n'est pas encore pour aujourd'hui. Les permissions ont été supprimées en bloc. 400 imbéciles, dans la division, avaient demandé 24 heures sous les motifs les plus divers, et sans être de la région. Conséquence : le général de division a tout supprimé. Ma demande au colonel n'a été transmise que cet après-midi. Demain, au rapport de midi, peut-être serai-je fixé et obtiendrai-je une permission mardi, avec ceux qui ont droit à un titre de longue durée.

Je t'ai cherchée en vain hier dans le train ; je me suis mis à la porte de sortie mais je ne t'ai point aperçue. Que le train avait du retard! J'aurais préféré passer ces trente minutes en ta bonne compagnie.

J'ai repris bien tristement le chemin du quartier, puis je me suis endormi sur les ressorts en fer de ma couchette en songeant que j'aurais pu partager notre bon petit lit.

Ce matin nous avons été consignés jusqu'à une heure ; les corvées ont repris de plus belle. C'est comme à la caserne. Paquetages bien alignés, carreaux lavés etc... Les hommes rouspètent. Des nouilles à l'eau et sans pain pour déjeûner. Ce soir, je suis sorti à deux heures avec "O" ; j'ai été aux Bosquets, la Pépinière de Lunéville, mais j'aurais préféré de beaucoup être à vos côtés.

Depuis cinq heures je suis au bureau, attendant si quelquefois parviendra un ordre du colonel me concernant, mais je ne vois rien venir.

Il est sept heures. Je t'écris cette lettre puis la posterai à la poste de la Gare.

Tu verras ma chère Irène que tes prières me feront obtenir une permission et quels bons moments nous vivrons en commun.

J'espère que mon petit Jean va mieux et qu'il est bien sage comme sa soeur Simone.

J'ai enregistré le bruit que nous irions bientôt cantonner à Nancy, mais ce doit être un canard ; car on parle que nous resterions ici de 15 à 20 jours. Espérons donc en des jours meilleurs.

Bien des soldats ont tenté de se rendre aujourd'hui à Nancy par la route et sans permission. Y sont-ils parvenus?

De même, beaucoup de Nancéiens se sont encore trouvés arrêtés aujourd'hui à Blainville.

Allons, ma chère Irène, bon courage et bonne santé.

Reçois pour toi et mes petits enfants les meilleurs baisers de ton Gaston qui t'aime bien et voudrait te serrer tendrement sur son coeur.

Gaston Ducloux.

 

Lunéville, le 19 juillet 1915

Ma bien chère Irène

La bonne nouvelle que tu attends de moi avec impatience n'est pas encore pour aujourd'hui. Au contraire, car ce matin la note que je t'annonçais hier a été confirmée au rapport. Pas de permission de 24 heures. On m'a même déchiré ma demande. J'ai protesté, disant que c'était une permission de longue durée que je n'avais pas obtenue et que je réclamais. J'ai donc refait cet après-midi ma demande et j'attends la signature du lieutenant pour porter ma permission au Colonel! L'accordera-t-il demain?

Nous avons fait une marche ce matin et je rentre à l'instant de la corvée de lavage. Je m'empresse de t'écrire ces quelques mots dont tu voudras bien excuser la brièveté, pour pouvoir porter cette lettre au train par lequel tu es partie.[33] Demain, je t'écrirai plus longuement dans la matinée. Je veux simplement t'assurer que je ne t'oublie pas et que je vis par la pensée toujours auprès de vous. Je supporte difficilement moi aussi cet éloignement forcé et, si je n'étais pas gradé, j'aurais bien trouvé dimanche le moyen d'aller vous voir malgré les risques.

J'espère que Jean va mieux et que toi aussi, ta grippe s'est dissipée et que bientôt je vous trouverai tous en bonne santé. Ma chère Irène, je t'embrasse bien de tout coeur, toi Jean et Simone. Ton Gaston.

 

Lunéville, 21 juillet 1915

5 h soir

Ma bien chère Irène

Ce n'est pas encore pour aujourd'hui, mais il y a une lueur d'espoir. Nous sommes informés officiellement qu'il y aura dimanche des permissions de 24 heures, mais qu'on ne pourra utiliser le chemin de fer. Je devrai donc me mettre en quête d'une bicyclette ou trouver un convoi d'automobiles de ravitaillement. D'autre part, on vient de m'appeler au bureau pour me remettre ma demande renvoyée par le Colonel avec cette mention : "Permission refusée. Le quotient est atteint et ne peut être dépassé sous aucun prétexte avant nouveaux ordres". Comme il est probable qu'il y aura un nouveau tour de permissions de longue durée, et que ces ordres prévus arriveront, nous conserverons donc un bon espoir. Je voudrais déjà être à samedi soir pour vous serrer tous dans mes bras. Ici la vie devient monotone ; c'est la caserne! Marche ce matin! Soif! mais cela est préférable à la tranchée. J'attends une lettre de toi ma chère Irène, et je t'embrasse de tout mon coeur avec Jean et Simonne.

Ton Gaston.

 

Lettre de Mme "D1", la patronne de Lucien Laqueue, à Irène.

Peillonnex le 23 juillet 15

Madame,

Je viens par la présente vous prévenir que votre père est dans sa mauvaise maladie. Voici 3 jours qu'il est très malade. Donc, il désirerait aller avec vous. Je vais m'informer à la mairie pour le faire aller à Nancy, et je vais faire faire un certificat du docteur pour que sa course ne lui coûte rien. Donc soyez sans inquiétude, mais il aurait bien aimé que vous veniez le chercher, mais une pareille distance il me semble qu'elle vous sera impossible.

Monsieur Lucien me prie de vous faire ses meilleures amitiés.

Joséphine "D1", à Peillonnex, Hte-Savoie.

 

Lunéville, 28 juillet 1915

5h 40 soir

Ma bien chère Irène

On me remet à l'heure du dîner la lettre vraiment inattendue dans laquelle tu m'annonces la mort de ton père regretté. Quelle douloureuse surprise pour moi aussi et combien, tu le sais, je partage ce chagrin qui te frappe si durement. Tu connaissais les sentiments d'affection filiale que je nourrissais pour lui comme pour ta maman. Tous deux m'avaient accueilli paternellement à la maison, à mon entrée dans la famille, cherchant sans cesse l'un et l'autre à m'être agréables. Ce nouveau deuil qui nous frappe, si dur soit-il, il faut le supporter avec courage et je sais par expérience que cela ne te fera pas défaut. Nous causerons dimanche ou samedi soir plus longuement des décisions à prendre pour les formalités de transfert, par la suite. Il va y avoir à régler la question de succession avec les autorités de là-bas qui ont dû recueillir ses pauvres bagages. Ecris-moi par retour du courrier l'adresse de sa patronne, adresse que j'ai égarée. Albert aura peut-être pu se rendre là-bas. Certes les privations, la rigueur du climat, le surmenage ont dû avoir raison de sa robuste constitution. Sa dernière pensée aura été pour ses enfants auxquels la joie supême du retour était enlevée. Bon courage, mon Irène, encore une fois, et crois bien à mes bons sentiments et à la part profonde que je prends à ce nouveau deuil familial. Je t'embrasse de tout coeur.

Ton Gaston.

Je mettrai cette lettre après dîner. Je ne sais quand elle arrivera à Nancy.

 

Lettre d'un savoyard à Irène.

Peillonnex, le 2 août 1915,

Chère Madame,

Comme je me suis occupé, en qualité de voisin de Mme "D1", de faire les démarches et formalités pour la sépulture de votre cher père regretté, décédé ici dans la matinée de mardi 27 juillet dernier, et dont j'ai dû vous annoncer la fatale nouvelle par le télégramme que vous avez reçu, maintenant aussi comme votre père malheureusement réfugié ayant quitté son pays d'origine porteur d'aucun papier établissant son identité, Madame, je viens donc par cette présente vous prier d'avoir l'obligeance de m'adresser par retour du courrier si possible, le nom de votre grand-père, ainsi que de votre grand-mère, le lieu où est né votre cher père Mr Lucien Laqueue et la date de naissance et de son mariage ; ces renseignements me sont réclamés à la Mairie pour la rédaction de l'acte de décès dont j'ai été le déclarant.

Je ne vous donne ici aucun détail de renseignement sur le dernier moment de votre cher père que nous aimions bien, vous recevrez une réponse à ce sujet de Mme "D1".

Dans l'attente de vous lire, agréez chère Madame les condoléances affectionnées d'un ami de votre père.

"E1", à Peillonnex, Hte-Savoie.

 

10 août 1915 (Gaston a eu une permission de 24 heures)

Ma chère petite Reine

Mon retour dimanche soir s'est effectué dans le calme et la tranquillité : rentrée au quartier à 11 heures par nuit noire, et repos immédiat sur mes ressorts métalliques dont j'éprouve de moins en moins le moelleux après une absence de 24 heures. J'espère ne point avoir laissé de souvenir et avoir remporté avec moi les quelques mies de pain mécaniques fourvoyées dans mes vêtements.

Rien de particulier à t'annoncer : pas encore ma permission (Gaston parle de celle de longue durée). Sans doute 24 heures encore dimanche, car notre séjour se prolongerait au delà de la semaine. On prépare des concerts militaires et représentations théâtrales. C'est donc qu'on a l'intention de les donner.

Donc, à dimanche ma chère petite, si je ne puis te revenir plus tôt. J'ai commis un grand oubli dimanche, celui de remercier Mme "C", pour sa générosité - toujours appréciée - à mon égard. Tu voudras bien le réparer.

J'espère que Jean s'est calmé, que son équipement le satisfait et qu'il te laisse la paix. Ici continuation de l'entraînement, surtout aux pluies futures. Cet après-midi, hier encore, pluies orageuses sur le dos. On revient quand on est bien mouillé. On peut se changer heureusement. Ma chère Irène, reçois les bons baisers de ton Gaston qui voudrait bien que chaque jour fut pour lui 24 heures à Nancy. Ton Gaston.

 

Lettre de Mme "D1" à Irène.

Peillonnex, le 10 août 15

Chère Madame,

Excusez-moi du retard que j'ai mis à vous répondre, mais avec tous les ennuis de mon mari, pour tous ces papiers que je dois lui fournir au sujet de sa réforme, c'est tout ça qui m'a retardée.

Chère Madame votre lettre me fait bien de la peine, surtout c'était Irénée qui était sa préférée, cela a été ses deux derniers mots avant de mourir : qu'il fallait que j'embrasse sa chère fille, et qu'il ne la reverrait plus.

Madame, Mr Lucien est tombé malade le 15 juillet et le samedi je me suis empressée d'aller téléphoner au docteur, et il voulait l'hospitaliser, et comme j'ai pensé que Madame serait peut-être en route, je n'ai pas voulu le laisser partir. Le lundi 19 Mr Lucien voulait de nouveau partir pour l'hôpital et le docteur est venu l'après-midi où il lui avait placé des ventouses, mais il était déjà dans le délire. Il ne voyait que le théâtre de la guerre. Au soir il m'appelait à chaque instant pour me dire que sa chère fille Irénée allait venir par le 1er train, qu'il fallait que je vous envoie chercher, mais qu'il ne la reverrait pas. En effet, ce pauvre malheureux est parti comme une chandelle, en ayant bien le soin de faire son signe de croix et prononcer 2 fois ces mots : Irénée. Et je vous promets Chère Madame que je l'ai pas méprisé ; il y a eu une belle sépulture, et maintenant Mr Moreau son oncle était là, car tous les dimanches il venait dîner avec Mr Lucien. Et je le regrette beaucoup car c'était un brave et honnête homme, il était estimé de tous les voisins, et un homme de bonne foi.

Aussi Chère Madame, il n'y a pas d'excuse, vous ne saviez pas que ce terrible malheur vous serait survenu, car croyez bien que j'aurais encore bien aimé le soigner et qu'il reste avec moi, car j'en avais le soin, mais il le connaissait, c'était la bonté même et bien dévoué et courageux.

Maintenant Mr Ducloux m'a écrit ; je vais lui écrire au soir pour les affaires de l'enterrement, et chère Madame je n'abandonnerai pas sa chère tombe, je vais aller l'arranger et lui placer des fleurs car il les aimait beaucoup. Encore une chose, qu'il regrettait de ne plus revoir ses chères Ardennes.

Je vais m'arranger avec Mr Ducloux pour tout cela. Agréez chère Madame mes meilleurs sentiments. Joséphine "D1". 

 

Lunéville 13 août 1915

Ma bien chère Irène

J'avais espéré recevoir au moins aujourd'hui de tes nouvelles. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Je te souhaite en excellente santé et en bon état d'esprit. D'ailleurs, je te reviendrai demain soir, à l'heure habituelle, à moins d'un incident que je ne prévois pas du reste.

La semaine pour nous s'achève dans un calme relatif ; nous avons bien travaillé, bien galopé dans les terres, beaucoup scié. Si seulement la permission de longue durée arrivait au bout, mais je n'ose y songer. Je vais insister cependant pour l'avoir, car je désirerais tant me reposer une semaine auprès de vous. As-tu reçu des nouvelles de Peillonnex? Demain nous reparlerons de cela. J'écrirai au maire ou au juge de paix du canton, pour être fixé d'une façon définitive.

Je m'en vais aller porter ce petit mot à la gare, à l'heure habituelle, pour que tu puisses l'avoir demain matin. Reçois ma chère Irène, pour toi et nos enfants, mes meilleurs baisers. Ton Gaston.

 

Poème non daté

(écrit vraissemblablement après une permission de 24 heures):

                 Reproche.

Tes yeux brillaient moins aujourd'hui,

Dis-moi, dis-moi pourquoi chère âme?

Est-ce un chagrin? est-ce un ennui

Qui pâlissait leur vive flamme?

Je veux ma part de ta douleur

Ainsi que ma part de ta joie.

Mon horizon prend la couleur

Des rayons que mon oeil t'envoie.

Il est d'azur lorsque tu ris,

Il devient tout noir si tu pleures.

À toi mes pensées, tu m'as pris

Tous mes ans, mes jours et mes heures.

Sitôt qu'un chagrin indiscret

Obscurcit ton âme sereine,

Dis-moi bien vite ton secret,

Que j'adoucisse au moins ta peine.

Tes yeux brillaient moins aujourd'hui,

Dis-moi, dis-moi pourquoi chère âme?

Dis-moi quel chagrin, quel ennui

Mettait un voile sur leur flamme.

                                 Gaston.

 

 

Lunéville 26 août 1915

Ma chère petite Reine

À l'heure où nous descendions pour la manoeuvre de ce matin, l'ordre est arrivé de remonter dans les chambres et de... monter ses sacs pour un départ éventuel.

À 10 h 45, nous devions nous trouver rassemblés dans la cour, en tenue complète. Maintenant je suis prêt et j'attends les évènements. Où allons-nous? Mystère pour nous! On embarquerait en gare de Lunéville, direction Bayon, peut-être sur Epinal.

Voici encore ma permission remise. Espérons qu'elle me sera donnée au prochain repos.

Ma chère Reine, tu seras comme par le passé, forte et courageuse, confiante en la protection divine qui toujours m'a été efficace. Je me recommande donc à tes bonnes prières. Je te souhaite aussi une bonne santé ; ne te prive pas trop ; soigne-toi bien avec les enfants. Bientôt viendront des jours meilleurs et j'aurai la grande joie de me retrouver parmi vous. Mon bon souvenir à M. Mme "C". Embrasse de tout mon coeur Jean et Simonne et crois bien, ma chère Irène, à mes meilleurs sentiments et à mes constantes pensées. Bons baisers de ton Gaston. Secteur Postal 125.

 

 

Sans date (probablement 26 août 1915)

5 heures du soir

Ma petite Reine

Nous ne sommes pas partis à l'heure indiquée. Ordre nous est donné de nous tenir prêts pour 8h 45 du soir. On embarque à cette heure pour une destination toujours inconnue. Deux bataillons sont déjà en route.

Une bonne nouvelle : je t'ai annoncé que les permissions étaient suspendues à la suite de notre départ. Le Colonel m'a fait répondre cet après-midi que je partirais aussitôt la reprise des permissions, donc peu après notre arrivée au lieu de destination. Espérons donc nous revoir bientôt. Je t'écrirai chaque jour comme par le passé. N'impute qu'à la poste les retards. Mon adresse est toujours la même : S.P. 125.

Ma petite Reine, je cours porter cette lettre et t'embrasse bien tendrement. Ton Gaston.

 

Samedi 28 août 1915

Ma bien chère Irène

Alors que je comptais sur Commercy, nous avons obliqué à gauche sur la ligne de Paris et débarqué à 10 Km de Vitry-le-François, à Blesme[34]. Nous avons gagné à pied, et la nuit, notre lieu de cantonnement. Quelque peu fatigués de 18 km, nous attendons pour repartir à la nuit. Nous remonterons vers le Nord, vers les Ardennes. Tant mieux, je serai des premiers à rentrer chez moi. Quand nous serons arrivés à notre lieu de séjour, les permissions recommenceront et je serai heureux de te revenir. Bon courage et bons baisers de ton Gaston qui pense sans cesse à toi. Embrasse bien les enfants pour moi.

 

En campagne, 3 septembre 1915

Ma bien chère Irène

Je reçois aujourd'hui ta première lettre adressée depuis mon départ. Elle m'a fait une grande joie à la pensée de te savoir aussi forte, aussi courageuse, comme par le passé. Cela me donnera du courage pour surmonter les fatigues de la vie de campagne. Nous quittons ce soir les troisièmes lignes, pour relever un de nos bataillons qui est aux tranchées depuis notre arrivée à notre beau séjour[35], dans les ruines d'un village dévasté. Le secteur est calme : notre artillerie, formidable, cependant se réserve pour les grands jours. Hier, j'ai reçu une lettre de Jeanne, je vais lui répondre un de ces jours car il n'y a véritablement que dans la tranchée que l'on est tranquille, et que je peux mettre à jour mon courrier. Elle m'invite à lui faire connaître mon lieu de repos, si je revenais dans leur région, afin que mon oncle puisse venir me voir, mais je suis loin d'elle, au moins 80 kilomètres. L'autre jour, j'étais à 25 kilomètres de mon oncle Augustin, que tu ne connais pas, et dont je me demande aussi le sort. Le Chesne[36], en aéro, ne serait pas long à atteindre! Présente mes meilleurs voeux de prompt rétablissement à Mme "C". Je t'ai dit hier ce que j'attendais de toi. Vite du papier à lettre, car je ne t'écrirai que des cartes. Aucun approvisionnement possible. Dans l'Artois, nous trouvions à nous ravitailler en toutes choses, à l'arrière des lignes. Ici, la désolation, le désert!

Ma chère Irène, mes bons baisers à toi et aux enfants, en attendant la permission remise à la St Glinglin. Tout est suspendu maintenant dans la zone des armées.

Ton Gaston.

Me joindre aussi de la fine toile émeri % pour mon fusil.

 

 

Dimanche 5 septembre 1915, Beauséjour[37]

Ma bien chère Irène

Pas de lettre aujourd'hui, donc encore mauvaise humeur de ta part. Aujourd'hui dimanche, j'ai pu assister, dans une pauvre petite église à moitié détruite, à 2 km des lignes, à Minaucourt[38], assister à la Sainte Messe. C'était bien émotionnant. Aujourd'hui comme les jours précédents, travaux de terrassement, travaux d'approche. On creuse dans une sorte de craie bien dure des abris magnifiques ; les tranchées sont de toute beauté en leur genre. Voici déjà 10 jours que nous avons quitté Lunéville. Je songe avec certaine amertume à notre dernier dimanche, à ces deux dimanches que nous aurions encore pu passer ensemble, si j'étais resté au repos en Lorraine ; mais le repos ne dure qu'un temps. Quand reviendront nos beaux jours? Bientôt espérons-le, si tout va bien comme nous le désirons. Quand pourrai-je aussi reprendre ma permission? Aucune décision n'a encore été prise par le Colonel. Je préfère ne pas trop y penser, par crainte d'amers regrets si je ne l'obtenais point au prochain repos. Je suis content d'apprendre que Mme "C" se rétablit peu à peu ; je souhaite son prompt rétablissement. Ma bien chère Irène, je t'embrasse de tout mon coeur. Bons baisers à Jean et Simonne qui j'espère sont sages.

Ton Gaston.

Tu pourras consulter la carte que j'avais achetée à Châlons, quand j'allais à Ste Menehould, par Valmy.

 

En campagne, 8 septembre 1915

Ma chère Irène

En ce moment, nous nous apprêtons à prendre quelque repos, après huit jours de tranchées de 2° et de 1° ligne pour le régiment ; une semaine sans doute. Cette carte est la dernière si ce soir ou demain matin je ne reçois aucune nouvelle de toi. Je manifesterai aussi, à ma façon, ma mauvaise humeur. Nous quittons un secteur relativement calme : quelques accrochages de patrouilles, quelques marmites formidables sur les deuxièmes lignes, et c'est tout. Je reste en bonne santé. Mes amitiés à tous. Meilleurs voeux à Mme "C". Embrasse bien Jean et Simonne et reçois mes baisers affectueux.

Gaston Ducloux.

 

En campagne, 9 septembre 15

Ma bien chère Irène

Contrairement à ma promesse, je t'écris encore aujourd'hui, bien que je m'étais promis de ne plus le faire avant d'avoir reçu de tes nouvelles. Nous voici relevés depuis hier, mais, alors que nous espérions aller quelque peu en arrière et nous remettre de nos privations, on nous a emmenés, tout au moins mon bataillon, à 4 km du front, sur une belle route poudreuse ; après avoir formé les faisceaux, on nous a annoncé que nous étions arrivés à notre lieu de villégiature. Il était 10 h du soir. Chacun alors de chercher un coin favorable, pas trop crayeux, dans le talus et de se confectionner une guitoune. Une heure après, je dormais comme un loir, sans me soucier des voitures de ravitaillement et des autos circulant sans cesse et soulevant des tourbillons de poussière ; ma toile de tente formait rideau. Il faut bien s'accommoder de tout.

Ainsi, quand à mon retour tu m'embêteras, je prendrai une pelle, un vieux jupon, et j'irai creuser ma chambre à coucher dans les déblais de la Croix de Bourgogne!

Donc nous voici installés, pour cinq jours au moins, en camp-volants, charmant nos loisirs en allant travailler douze heures aux tranchées, à élargir les boyaux. C'est le repos accordé. Aujourd'hui, j'ai coupé à la corvée ; je vais pouvoir faire toilette et me changer. J'ai voulu, ce matin, aller au village le plus voisin acheter du vin et du chocolat, mais un gendarme m'a envoyé promener. Le seul civil resté dans le pays est réquisitionné par un autre corps d'armée pour vendre uniquement à ses troupes. Le 20°, nouveau dans la région, se tape. C'est la désolation ici. À peine peut-on avoir de l'eau potable dans les tonneaux apportés dans notre zone. Bien que nous ne soyions pas exempts de recevoir quelques grosses marmites, nous sommes un peu plus tranquilles qu'en ligne, si les privations sont les mêmes. J'ai vu ce matin sur le journal que Nancy avait revu les avions boches. Je te recommande toujours la plus grande prudence quand tu entends tirer.

J'attends du papier à lettres car, ici, le petit colporteur ne passe plus. Le vaguemestre va venir. Je verrai si tu as encore songé à moi. Ma chère Irène, je t'embrasse de tout mon coeur ainsi que les enfants. Gaston.

J'espère que Mme "C" est rétablie. Mes amitiés à elle et à son mari.

 

Sans date

Dimanche

Ma bien chère Irène

Un petit mot cet après-midi, et cependant je m'étais promis de t'écrire plus longuement, mais je viens d'apprendre qu'un détachement du 146° est arrivé à un village voisin et comprend de nombreux sous-officiers de mon ancienne compagnie. Je m'en vais aller les voir, notamment mon ami "O" de Nancy. Demain, je t'écrirai plus longuement. Ma bien chère Irène je t'embrasse de tout mon coeur. Ton Gaston.

Encore 15 jours de passés.

 

Mardi 22 septembre 1915

3 h soir. Aux tranchées.

Ma bien chère Irène

Hier, je n'ai pu trouver une seule minute pour t'envoyer mon petit billet quotidien. C'était jour de relève. Il a fallu venir reconnaître aux tranchées l'emplacement de ma compagnie, puis de ma section ; ensuite les occuper, les organiser, mettre chacun à sa place, distribuer cartouches et grenades, sacs de terre et fusées éclairantes, etc... ; ce qui n'est pas un mince travail. La nuit venue, l'agent de liaison m'a apporté, avec ma gamelle de riz traditionnelle, ta carte du 16 septembre sur laquelle tu manifestes ton inquiétude de ne pas recevoir de mes nouvelles. Je ne vois qu'une explication à te fournir : la correspondance se voit retardée pour nécessité d'ordre militaire. N'as-tu pas reçu ma lettre recommandée et celle affranchie?

Cet après-midi, je me hâte de te rassurer et de te griffonner cette lettre, que je remettrai aux hommes qui vont à la soupe.

Rien de particulier ici, sinon que les deux adversaires se tiennent en éveil mutuellement. L'un ne veut pas laisser dormir l'autre. C'est la chicane continue. Et le communiqué officiel s'exprime ainsi chaque jour : "Bombardement réciproque de divers calibres... Canonnade toujours vive."  Insignifiant, somme toute, comme tu le vois. On attend toujours l'acte décisif.

Je te remercie des bonnes prières à Notre Dame de Bon Secours et de Lourdes. Elles me sauvegarderont au jour du danger.

Demain, ma chère Irène, je tâcherai de trouver quelques minutes de répit pour causer un peu plus longuement avec toi. Mais voici que le téléphone, depuis une minute, m'appelle au poste de commandement du lieutenant. Je t'embrasse à la hâte et de tout coeur, avec Jean et Simonne.

Ton Gaston.

 

Mardi 22 septembre 1915

16 h.

Ma bien chère Irène

Encore un petit mot à la hâte ce soir pour te faire parvenir l'excédent de mes économies après le prêt, soit quinze francs. Ils te seront plus utiles qu'à moi, surtout en ce moment. Après nous aviserons. Bons baisers.

Ton Gaston.

 

 

146° Régiment d'Infanterie

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Extrait de l'Ordre de la Division

n° 79   en date du 18 octobre 1915.

Ducloux Désiré

Sergent

12° Compagie du 146° d'Infanterie, classe 1904, M le 015262

" A l'attaque du 27-9-15 a fait preuve d'un grand courage en se portant avec sa section réduite à quelques hommes à l'attaque d'une tranchée allemande occupée par un ennemi supérieur en nombre, a réussi à déloger l'adversaire.  "

 

 

27 septembre 1915

Ma bien chère Irène

Malgré toute ma bonne volonté et mon désir de te faire plaisir, je ne puis encore aujourd'hui que te griffonner ces quelques mots.

Dès maintenant, ne t'étonne pas si ma correspondance se fait rare et si tu restes quelques temps sans nouvelles. Nous boulonnons et ferme. Aussi avec la grâce de Dieu, ce sera du "bon boulot" et la réalisation de nos espoirs communs. Donc, une bonne prière pour ton Gaston qui t'embrasse bien tendrement avec ses chers petits enfants.

Gaston Ducloux.

 

 

Ce fut son dernier message!...

 

 

Il disparut avec sa section le 28 septembre 1915 dans les tranchées de Beauséjour, ou aux alentours. Le hasard cruel fait qu'il est probablement mort à quelques kilomètres de Binarville, où était tombé son petit frère Henri douze mois auparavant.

 

 

Irène s'est longtemps obstinée à croire (et à faire croire à sa belle-famille, qui pleurait encore la mort d'Henri) que Gaston était prisonnier quelque part.

 

 

 

 


Lettre de Lucie Ducloux, soeur de Gaston :

5 Décembre (1915)

Ma chère Irène

C'est avec une bien grande émotion que nous avons reçu votre lettre aujourd'hui 5 décembre. Nous n'osions pas l'ouvrir de crainte d'apprendre de mauvaises nouvelles, car nous n'avions rien reçu depuis le questionnaire de Mme "C" nous annonçant la mort de notre pauvre Henri, ainsi que la disparition de Gaston. Aussi vous devez penser la joie de mes parents, comme la nôtre en apprenant qu'il était prisonnier. C'est notre plus beau jour depuis notre séparation, en attendant encore la plus grande joie du retour, car nous vous attendons de suite avec impatience.

Venez vite nous embrasser et nous rassurer car nous pensons journellement à vous, et avec beaucoup de crainte depuis que nous savions votre départ de Nancy. Peut-être Gaston est-il près de vous à présent, car depuis le 19 novembre que vous avez écrit votre lettre, il y a dû déjà avoir du changement. Aussi pour que la mienne vous arrive vite, je la remets à un permissionnaire.

Il est inutile de nous donner plus de détails à présent. Le principal est que vous soyiez tous en bonne santé. Ne tardez pas surtout. En attendant, recevez nos meilleurs baisers pour toute la famille. Votre soeur affectionnée. Lucie.

Georges Vaucher est actuellement chez sa fiancée. Mon oncle est toujours en Belgique depuis qu'il est évacué.

 

      L'ÉCLAIR DE L'EST                                                             Nancy, le 10 I 1917

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                   DIRECTION

                            *                            Chère Madame

            Je regrette de m'être laissé surprendre par vos bons voeux et ceux de vos enfants, alors que j'avais encore à répondre à votre lettre du 23 septembre.

            Je voulais vous demander ce que signifie l'abréviation "Le Ge" qui commence la citation décernée à votre cher mari. J'ai tellement à faire que je ne fais pas la moitié de ce que je voudrais et de ce que je devrais. Mais aujourd'hui, je vous fais passer en première ligne.

            La citation ne contient-elle pas en outre la désignation du grade, de la compagnie et du régiment (était-ce toujours le 146°) ? Je vous serais bien reconnaissant de me donner ces renseignements, pour que je publie cette citation sans plus de retard. Elle fait trop d'honneur à celui dont nous espérons toujours  des nouvelles et au journal pour qu'elle reste secrète.

            Vous voudrez bien m'excuser si j'ai tant tardé à accomplir ce devoir ; je viens de vous en expliquer les causes et, malgré tout, j'en suis honteux.

            À vos bons souhaits, je réponds par ceux que je forme pour que cette année vous apporte, avec la victoire et la paix, la nouvelle que votre cher disparu est enfin retrouvé, car je me dis toujours que, blessé, il a pu être retenu dans une ambulance en France ou en Belgique, d'où il lui est interdit de donner signe de vie. Espoir minime sans doute, mais peut-être la miséricorde divine vous ménage-t-elle cette joie.

            Embrassez vos enfants pour Mme Sordoillet et pour moi et agréez, chère Madame, l'expression de mes sentiments bien dévoués.                                          Paul Sordoillet

 

Association de la Presse de l'Est

Meurthe-et-Moselle, Meuse, Marne, Ardennes, Aisne, Seine-et-Marne, Seine, Seine-et-Oise (Réseau de l'Est), Aube

Yonne (Réseau de l'Est), Haute-Marne, Vosges, Haute-Saône, Belfort, Doubs, Jura, Côte-d'Or.

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Siège Social : NANCY

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   Le Président

1, Rue Grétry, 1                                                                                 Paris, le 9 Mars 1918

      Paris (2°)

             *                                                                          Madame

            Votre mari, M. Gaston Ducloux, appartient à notre Association. Nous savons qu'il est porté disparu, depuis longtemps déjà. Mais tout espoir ne saurait être perdu, car, chaque jour, on reçoit des nouvelles de soldats dont on ignorait le sort.

            On peut donc espérer, Madame qu'il en sera ainsi pour Ducloux, et que vous reverrez votre mari.

            En attendant, nous venons vous prier d'accepter pour vous et vos enfants, à titre d'aide confraternelle, une allocation de trois cents francs, ci-jointe, somme que nous prélevons sur les fonds mis à notre disposition par le Comité Américain, grâce à l'entremise de notre concitoyen nancéien, M. Marcel Knecht, qui connaît bien Ducloux et le considère comme un camarade.

            Je vous serais reconnaissant, Madame, de m'accuser réception du mandat, pour la bonne règle, et je vous prie d'agréer les voeux que nous formons pour notre confrère Ducloux, pour vous et pour vos enfants.                                             Léon Goulette

                                                                                               Président de l'Association

(C'est par Sordoillet que j'ai eu votre adresse postale)

 

      L'ÉCLAIR DE L'EST                                                             Nancy, le 15 IV 1919

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                   DIRECTION

                            *                              Chère Madame

            Depuis ces derniers temps, plus que jamais, je pense bien souvent à vous et à notre cher disparu. Vous attendiez évidemment avec impatience la libération de nos prisonniers, la récupération de nos territoires envahis, notre entrée en Allemagne. La lumière devait en sortir.

            Moi aussi, j'attendais et j'espérais. Jusqu'à ce jour, rien ne m'est venu. Et vous, avez-vous été plus favorisée? Savez-vous quelque chose? Avez-vous eu des renseignements plus complets?

            Hélas, je crains bien que, s'ils sont venus, ils n'aient pas été ceux que votre coeur espérait, ceux que nous espérions contre toute espérance. Devons-nous faire notre deuil définitif?

            Quels qu'ils soient, je vous serai très reconnaissant si vous voulez bien m'en faire part dès que vous en aurez le loisir. Vous comprendrez les motifs qui me guident. Je veux, si décidément nous ne devons plus revoir votre mari, lui rendre l'hommage que sa valeur mérite et faire célébrer à son intention, en même temps qu'à celle des autres morts glorieux de l'Eclair de l'Est, une messe où nous prierons tous pour leur éternel bonheur.

            Veuillez, chère Madame, agréer l'expression de mes sentiments respectueusement dévoués.                                                                                                   Paul Sordoillet

 

Coupure d'un journal (lequel ?) :

 A la mémoire de Gaston

 

      L'ÉCLAIR DE L'EST                                                             Nancy, le 9 VIII 1919

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                   DIRECTION

                            *                              Chère Madame

            Je viens de recevoir votre lettre du 7 courant, qui arrive à temps et dont je vous remercie.

            Le service aura lieu mardi 12 courant, à 11 heures, à la Cathédrale.

            Le soir, à l'assemblée générale des actionnaires, je rendrai hommage à votre mari et à mon regretté collaborateur.

            Si vous pouviez m'envoyer une bonne photographie de lui, je la ferais reproduire dans l'annuaire de la Presse pour 1920.

            J'aurai grand plaisir à vous voir fin septembre.

            Veuillez, Chère Madame, agréer l'expression de mes respectueux sentiments.

                                                                                                          Paul Sordoillet

 

*  *  *  *  *



[1]. "L'Éclair" = "Journal de Paris, Politique, Quotidien - Absolument  indépendant" - Ernest Judet, Directeur - 10, rue du Faubourg
     Montmartre - PARIS IX°.
    "L'Éclair de l'Est" = "Journal Quotidien, Républicain, Indépendant" + "Le Petit Lorrain" et "Le Pays de Toul", hedomadaires,
     8, Place Carnot - NANCY.

[2]. Le "Daily Mail"

[3]. Victor Henri Ducloux, dit Henri, petit frère de Gaston.

[4]. Albert Fuselier, époux d'Angéla Laqueue, la soeur d'Irénée dite Irène.

[5] Moncel sur Seille (54280)

[6] Pettoncourt (57170)

[7]. Chambrey (57170).

[8] Laneuveville-en-Saulnois (57590)

[9] Oriocourt (57590)

[10] Oron (57590)

[11] Lucy (57590)

[12] Fremery (57590)

[13] Fresnes en Saulnois (57170)

[14] Gremecey (57170)

[15] Bioncourt (57170)

[16] Brin sur Seille (54280)

[17]. Villegailhenc, Aude (11600)

[18]. Pennautier, Aude (11610)

[19]. Georges Vaucher, cousin germain de Gaston du côté de sa mère.

[20]. Raphèle- lès-Arles, Bouches-du-Rhône (13280).

[21]. Soit Sapogne-sur-Marche, Ardennes (08370), soit Sapogne-et-Feuchères, Ardennes (08160).

[22]. Saint-Aignan, Ardennes (08350), village des Laqueue où est née Irénée, dite Irène.

[23]. Villemoustaussou, Aude (11600)

[24]. Rilly-la-Montagne, Marne (51500), commune où habitait et où est mort Victor Philogène Ducloux, instituteur.

[25]. Matougues, Marne (51150)

[26]. Binarville, Marne (51800)

[27] Vauquois, Meuse (55270)

[28]. C'est au camp de Châlons que Gaston avait fait son service militaire.

[29]. Laroche St Cydroine, Yonne (89400)

[30]. Probablement Ivergny, Pas-de-Calais (62810)

[31]. Villers Sir Simon, Pas-de-Calais (62127)

[32].Mont-Saint-Eloi, Pas-de-Calais (62144)

[33]. Irène est donc venue, à un moment donné, en courte visite à Lunéville! Probablement le 16 juillet.

[34]. Blesme, Marne (51340)

[35]. Allusion sans doute au nom du lieu-où se trouve Gaston.

[36]. Le Chesne, Ardennes (08390), un des berceaux de la famille.

[37]. Après recherches minutieuses, il s'avère que "Beauséjour" était un lieu-dit sur lequel était implantée une ferme, au bord du ruisseau du Marson et sur une petite route qui donne sur la D. 566. Sur cette départementale, du reste, a été créée une "Nécropole Nationale" où se trouvent peut-être, parmi d'autres, les restes non identifiés de Gaston (à moins qu'il ait été enterré, mort ou vif, par les retombées de terre provoquées par les pluies d'obus, dits "marmites"). Voir carte.

[38]. Minaucourt : devenu Minaucourt-le-Mesnil-lès-Hurlus, car les villages d'Hurlus, de Perthe-lès-Hurlus et de Mesnil-lès-Hurlus ont été détruits. Ces trois lieux, ainsi que la Ferme de Beauséjour, se situent à l'intérieur d'une zone militaire fermée, appelée "Camp de Suippe" (au nord-est du "Camp de Mourmelon").

Annexe 1 - Note conservée par les Archives de l'Aude et concernant le cantonnement du 146ème RI à compter du 6/09/1914

Annexe 1 - Note conservée par les Archives de l'Aude et concernant le cantonnement du 146ème RI à compter du 6/09/1914



Annexe 2 - Le Courrier de la Champagne

Des extraits d’articles de mon grand-père sont parus dans le « Courrier de la Champagne », notamment des 1er, 5 et 8 octobre 1915, à la rubrique « Chronique ardennaise », alors qu’on ne savait pas encore officiellement que « G.D. » était porté disparu dans les combats du 28 septembre aux environs de Beauséjour ou Massiges.

 

Annexe 2 - Le Courrier de la Champagne

 

Annexe 2 - Le Courrier de la Champagne

 

 

Annexe 2 - Le Courrier de la Champagne

 

 

Annexe 2 - Le Courrier de la Champagne

 



Annexe 3 - Extrait d'un article de Gaston, sur l'Eclair de l'Est - Les caractéristiques du Zeppelin ayant atterri à Lunéville

(cliquez sur les vignettes)

 

Annexe 3 - Extrait d'un article de Gaston, sur l'Eclair de l'Est - Les caractéristiques du Zeppelin ayant atterri à Lunéville

Annexe 3 - Extrait d'un article de Gaston, sur l'Eclair de l'Est - Les caractéristiques du Zeppelin ayant atterri à Lunéville

Annexe 3 - Extrait d'un article de Gaston, sur l'Eclair de l'Est - Les caractéristiques du Zeppelin ayant atterri à Lunéville

Annexe 3 - Extrait d'un article de Gaston, sur l'Eclair de l'Est - Les caractéristiques du Zeppelin ayant atterri à Lunéville

Annexe 3 - Extrait d'un article de Gaston, sur l'Eclair de l'Est - Les caractéristiques du Zeppelin ayant atterri à Lunéville

 

Mais on parle du fameux Zeppelin ailleurs aussi ...

 

Annexe 3 - Extrait d'un article de Gaston, sur l'Eclair de l'Est - Les caractéristiques du Zeppelin ayant atterri à Lunéville

 

Cela se passait le jeudi 3 avril 1913 ...

 


 

 

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